[Moi, Christiane F., la vie malgré tout | Christiane V. Felscherinow]
Nombreuses sont les questions que l'on peut se poser sur la personnalité ainsi que sur les raisons du mythe de Christiane F., l'adolescente ouest-berlinoise devenue junkie-star à la fin des années 70 qui inspire encore, quarante ans plus tard, la curiosité de l'opinion et le voyeurisme de la presse people. En 2013, âgée de 51 ans et en très mauvaise santé, après un long évitement des paparazzi et pourtant suite à trois ans d'entretiens avec la jeune journaliste Sonja Vukovic qui co-signe ce livre, Christiane V. Felscherinow reprend la parole à la première personne et s'attelle à la rédaction d'une seconde autobiographie qui, dans sa version d'origine, porte le titre très significatif de « Mein zweites Leben » (« Ma seconde vie »).
Si l'ouvrage de 1978, Wir Kinder vom Bahnhof Zoo – Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... (honte à la transformation racoleuse des titres !) suivi de près par le film culte homonyme dut son succès extraordinaire en parts égales à la sidération devant un phénomène totalement inédit dans l'usage des drogues en Occident – avec l'invasion de l'héroïne, drogue de l'inconscience, dans la société du « bien-être » –, et à la consternation face à la violence autodestructrice d'une si jeune, si perspicace et si jolie adolescente (l'actrice Natja Brunkhorst qui l'incarnait avait une ressemblance certaine avec l'auteure du livre) – avec l'inépuisable question de la part de responsabilité familiale, sociale et individuelle afférente –, probablement l'intérêt de ce deuxième volet correspond aussi à deux questions : comment, puisqu'elle n'est pas morte, Christiane a-t-elle vécu pendant ces décennies – avec ou sans drogues – et quel regard la maturité lui fait-elle porter sur sa vie et son expérience ?
Les péripéties biographiques constituent pourtant l'ossature du livre : les tentatives de carrière dans la musique rock et, plus éphémère, dans le cinéma, la protection affective du couple d'éditeurs suisses Keel, l'expérience de l'incarcération, les sept années de vie en Grèce, la naissance de son fils, leurs onze ans de vie commune jusqu'à son placement en famille d'accueil, son désespoir suite à cette séparation et les ressentiments conséquents. Les sevrages et rechutes dans les drogues, incessantes, qui laissent sans réponse définitive l'interrogation sur la nature plutôt physiologique ou plutôt psychologique des addictions, se lisent de manière corrélée avec ces péripéties et surtout avec les fréquentations amoureuses et amicales, les lieux de vie et habitudes, les conditions sanitaires et psychologiques de l'auteure.
Les réflexions sont glanées entre les lignes ; le style, parfois âpre comme reflet ou transposition du registre de l'oralité, témoigne d'une urgence à rectifier des contre-vérités de la presse, peut-être aussi à régler des comptes avec quelques personnes et quelquefois à délivrer sa vérité pour confier un héritage affectif à son fils, dont la présence en filigrane et l'importance dépassent largement les chapitres qui lui sont consacrés. Comme si, du début à la fin, une biographie n'était en somme qu'une « histoire/affaire de famille »...
Cit.
« Jusque-là je n'avais jamais réfléchi aux raisons pour lesquelles je m'infligeais des trucs qui finalement ne me faisaient que du mal, pourquoi le morbide me fascinait. […]
La vie ordinaire me donnait un sentiment de vide, inconsciemment je recherchais toujours l'excitation, pour me sentir plus vivante – et puis les moyens de me faire redescendre. » (p. 83)
« Souvent, la cause de tout ça [la rechute], ça n'est pas seulement l'héroïne, mais aussi l'environnement social. À un moment donné, sans même qu'on s'en rende compte, la vie fonctionne de telle sorte qu'on finit toujours par aller aux mêmes endroits, par répéter les mêmes comportements. Et je ne parle pas seulement de l'addiction, mais aussi des autres choses qui nous font systématiquement retomber dans la drogue. Chez moi, par exemple, le problème de fond de tout ça, c'est que je ne supporte pas d'être seule. » (p. 180)
« Je ne connais aucun junkie qui soit heureux de replonger. Tu mens en permanence et à tout le monde, tu es bon pour ça. Mais c'est surtout à toi-même que tu passes ton temps à raconter des histoires. C'est la dernière fois. Juste une fois. Alors qu'au fond, tu sais bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas chez toi et dans ta vie. Mais l'idée d'y changer quelque chose te fait trop flipper, et du coup tu t'abrutis encore une fois pour oublier toute cette merde. Les uns apprennent à vivre avec, les autres en crèvent. Il n'y a qu'une toute petite différence de degré entre les deux. » (p. 187)
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