La trame est simple, les interprétations qu'en donnent les trois personnages principaux (lui, sa femme, l'autre) ainsi que la voix du narrateur entre parenthèses sont évolutives, contradictoires, complémentaires, indécidables. J'en donne une lecture convoquant le relativisme éthique, contre le libre arbitre (c-à-d. plaçant le supposé jugement comme résultat des conditions préalables de la propre biographie de chacun), enfin sur l'hypothèse improbable de la rédemption. Le genre littéraire enfin se situe entre le thriller (avec une accélération des rebondissements à partir du troisième quart) et l'analyse psychologique extrêmement fine – je ne définirais cependant pas cet ouvrage un thriller psychologique.
Ethan, neurochirurgien israélien et père de famille exemplaire, un homme d'une probité sur-développée et dont la reconnaissance est proportionnelle à l'auto-estime, se rend coupable d'un délit de fuite après avoir percuté, une nuit avec son 4 x 4, un migrant clandestin érythréen.
Sirkitt, la splendide femme de la victime, assiste à l'accident et fait chanter Ethan en lui imposant de consacrer ses nuits aux soins d'autres migrants africains qui en sont habituellement privés. La domination qu'elle exerce sur lui provoque le surgissement de sentiments ambivalents chez les deux, de même qu'elle manifeste des traits de caractère aussi ambigus qu'indéchiffrables, tant que son passé et les conditions de sa migration ne sont pas révélés.
Liath, la tout aussi belle femme d'Ethan, qui a misé sa réussite sociale et personnelle sur sa famille parfaite en passe de se déliter à cause des négligences et des mensonges du mari, est inspecteur de police, chargée de l'enquête sur les chauffard ainsi que sur les autres meurtres, trafics, violences, disparitions qui s'en ensuivent.
Tour à tour, les trois les personnages sont animés par la culpabilité. Culpabilité pour leurs actes autant que pour leurs sentiments. Autant sont-ils occupés par le jugement de soi, autant leurs décisions leur en paraissent déconnectées, donc incompréhensibles et inadmissibles ; sauf Sirkitt qui, pendant une grande partie de la narration, semble maîtriser davantage son sang-froid, paraît se situer dans la position nietzschéenne « au-delà du bien et du mal », sans doute à cause d'un passé et d'un présent plus lourds que les autres. Le monde obscur des migrants clandestins, auquel se juxtapose celui de la minorité humiliée des Bédouins locaux, les place aussi dans la position ambivalente d'être à la fois meurtris dans leur chair et porteurs d'une violence inouïe, dont l'emblème s'avère être justement Assoum, la victime de l'accident de voiture, mais tortionnaire de sa femme et maillon dans la chaîne du trafic de drogue qui constitue le récit criminel parallèle. Le lecteur, ballotté entre l'action dramatique tendue, les perceptions présentes des événements, les ressentis des personnages, leurs reconstructions mémorielles et, par moments, par les interventions du narrateur, est également porté à des oscillations incessantes entre des morales incompatibles (égoïsmes et altruismes), des solidarités inconciliables (famille et migrants), jusqu'à ce qu'il se résolve à donner à la force du physique brut (le désir, la répulsion, la peur, l'angoisse), à l'événement corporel (l’hémorragie, la putréfaction, l'asphyxie, les brûlures), mais surtout au contexte social et matériel des conditions de vie respectives, le poids implacable qui leur revient. Comme déjà dans le précédent roman de l'écrivaine, des pans assez peu connus de la réalité sociologique et politique d'Israël sont ici révélés avec grand intérêt.
Cit. :
« Avilissant dégradant infamant déshonorant. Un instant d'inattention et voilà qu'une nouvelle faiblesse s'est insinuée en elle. Comme si elle n'en avait pas eu son lot ! Et plus encore que l'attirance en elle-même, c'est la raison de cette attirance qui l'humilie. La vérité sur ce désir. » (p. 170)
« Elle se trompe. Il ne la veut pas sainte. Il la veut simplement humaine. (Pas un instant il ne s'imagine que, dans certains cas, se montrer humain est un privilège.) » (p. 366)
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