Au Bar de l’Univers, je demande Obock (et de la limonade).
Obock n’est qu’un plateau désertique et aride ouvert sur l’Océan Indien quand Paul Soleillet (1842-1886) implante une société commerciale et reconnaît le chiche territoire hanté par les nomades Afars comme une possession française. Il commerce et prospère jusqu’à ce qu’une insolation le foudroie à 44 ans. Arthur Rimbaud (1854-1891) se démène dans les parages, croise Soleillet, discute, échafaude des plans de vente d’armes, probablement mais rien n’atteste ces échanges possibles. Le poète quittera la contrée sur une civière de fortune pour aller se faire amputer à Marseille. Le cancer le terrassera à 37 ans. Comment de tels lieux où les traces des comètes sont dissoutes depuis si longtemps ne peuvent-ils pas aimanter les âmes errantes d’aujourd’hui ? Jean-Jacques Salgon (né en 1948), enseignant retraité, docteur en physique, reprend un voyage initié en 1973 et continué en 2016, mêlant ses trajectoires à celles de Soleillet et de Rimbaud, à la recherche de ce qui n’existe plus, se dissimule, résiste toujours. Ne reste plus que l’air du temps à saisir mais n’est-ce pas dans les lumières, les reflets, les odeurs, toutes choses fugitives, que le réel se dévoile dans sa continuité ? : « On regardait le soir tomber avec le sentiment d’un éphémère qui nous faisait toucher du doigt l’éternité ». Le récit autobiographique s’insère naturellement dans les biographies conjuguées et rêvées des illustres aventuriers. Le style tenu mais fluide autorise une lecture aisée. Le rimbaldien pourrait penser qu’il apprend peu de choses de prime abord mais le texte vivifie et actualise une errance qui se transmet, dans un mouvement de balancier, du nord au sud, du sud au nord. Rimbaud est venu s’échouer en Abyssinie pour des raisons économiques. Quand Soleillet était connu, Rimbaud se consumait en tâcheron anonyme. Par une pirouette du destin, le poète glorifie tous les lieux et les hommes qu’il aura approchés. Bien qu’il ait le souci de tout documenter, Jean-Jacques Salgon n’en esquisse pas moins un parcours métaphysique jalonné de fulgurances poétiques : « Rimbaud… est un univers à lui tout seul ; une vérité cachée dans une âme et un corps. C’est sans doute pour ça que les autoportraits flous de Harar nous paraissent si vrais ».
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