Les barricades.
Enjolras, le meneur charismatique des révolutionnaires patentés, tient en joue un insurgé et lui accorde une minute pour recommander son âme à Dieu. Le visage fermé, le regard dur, les autres révoltés attendent dans un silence de mort l’exécution sommaire. Parmi eux se distingue un infiltré notoire, l’inspecteur Javert.
Les quatre premières pages en couleur du manga introduisent sans fard ni détour l’insurrection républicaine à Paris en juin 1832. Par un jeu de contrastes multiples, les tensions deviennent palpables. La mort semble constituer la seule issue possible à un coup d’éclat politique déterminé mais idéaliste et somme toute improvisé. Le terrain des affrontements n’a pas été assez étudié, les possibilités de repli n’ont pas été envisagées. La barricade est faite de bric et de broc, incapable de résister à une canonnade. Pourtant, dans ce contexte plombé, les révolutionnaires croient en des lendemains qui chantent, Enjolras, l’ange racé, le premier, Grantaire, le sceptique, en dernier.
Déjà le 7e et avant-dernier tome de l’adaptation en manga des Misérables, porté par un souffle épique qui ne faiblit pas. Comment ne pas être affolé par toute cette jeunesse fauchée en plein rêve : Eponine, Gavroche et toute la coterie de l’ABC dans un bain de sang, Enjolras et Grantaire en dernier, unis sous la salve meurtrière ? Marius est blessé, évanoui et porté par Jean Valjean dans les égouts. La soldatesque veut parfaire sa mission et restaurer l’ordre en éliminant la chienlit jusqu’à l’ultime victime, traquant le fuyard jusque dans le Léviathan, les boyaux nauséabonds souterrains, domaine réservé des rats. L’action est menée tambour battant. Takahiro Arai orchestre une dynamique étourdissante avec ses découpages, la gestuelle chorégraphiée des personnages, les visages expressifs et les impacts meurtriers de la mitraille. Gavroche s’écroule dans une sobriété émouvante. Eponine expire dans une grâce fragile qui tord les tripes. L’amour est bel et bien piétiné, sans état d’âme, par l’armée uniforme et les politiciens cyniques invisibles qui se gardent bien de se mouiller. Rien ne change et les Mozart assassinés jonchent les poubelles de l’histoire.
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