[La traversée des territoires : une reconnaissance | Kenneth White]

Un cheminement vivifiant.
Hormis une incursion dans le vieux massif hercynien du Morvan, les territoires français parcourus par l’écrivain nomade Kenneth White se situent ouest, sud-ouest, quart sud-est avec une prédilection pour la zone littorale atlantique et au-delà, jusqu’aux Antilles. Attaché à la France aujourd’hui culturellement anémiée, l’auteur débute son périple mémoriel par la Normandie depuis la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare, dans l’attente d’un train pour Rouen. Paris, épicentre d’où partent et convergent tous les accès du pays, ne fera l’objet d’aucune observation détaillée, toutes remarques étant décentrées, suivant une voie personnelle loin des circuits touristiques et des clichés débilitants. Dix ans plus tard, sans ne rien connaître de l’œuvre-vie du barde écossais, je reprendrai en partie les voies ainsi que les lieux empruntés et fréquentés par l’auteur (Aître Saint-Maclou, port autonome et troquets attenants, hôtels balnéaires vieillots, raz Blanchard, étang de la Grande Noe, etc. de même que le « lyrisme de la grisaille »). Dans le chapelet énoncé des bourgades normandes, Bretterville et Sterville demeurent des lieux inconnus mais chacun ses coquilles vides ! On ne dit pas le « plateau des Minguiers » mais les Minquiers ni Touroure mais Tourouvre (pays des chênes tordus, les tors rouvres) situé dans le Perche ornais. A Rouen, on ne parle pas de douet (terme du Pays d’Auge et du Cotentin) pour désigner une rivière telle le Robec se jetant en Seine à Rouen. D’autres approximations jalonnent un parcours plus fantasmé que vécu. Ces simples détails erronés montrent néanmoins le survol d’un territoire et l’absence d’une lente imprégnation réservée aux natifs. Kenneth White n’en demeure pas moins intriguant et intéressant à suivre. Il dérive très vite vers les aventuriers normands, Pierre Bellain, sieur d’Esnambuc (1585-1637), René-Robert Cavelier de La Salle (1643-1687), Jean Ango (1480-1551) et les sans-grades croisés dans les rades rouennais, prompts à édifier des chimères dans les vapeurs de calva. S’ensuivent le Morvan (Autun, mont Beuvray et des digressions sur la celtitude), le Périgord (Montaigne, La Boétie, Emerson, Thoreau, le taoisme…), les Pyrénées vues de Pau, la Provence depuis Cannes, les Cévennes au départ de Gourgounel, la Narbonnaise à travers des marches pédestres dans les Corbières, l’Aquitaine aux marges atlantiques et : « quand on se trouve à une fin, on se trouve aussi face à un commencement », de la pointe du Finistère à l’arc des petites Antilles (Martinique, Rocher du Diamant), un saut dans l’Ouvert, lieu énergétique et champ des possibles.
La pensée transdisciplinaire de Kenneth White propose une interprétation du monde qui balaie les carcans philosophiques nonobstant les références faites à Nietzsche. Terreau fécond dans lequel puiser et grandir, la géopoétique en permet une lecture scientifique et sensible, travaillant les zones d’ombre et d’inquiétude à la lumière vacillante de connaissances fragiles mais essentielles.

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