Chahdortt Djavann est une iranienne, née en 1967, dont le père, grand féodal, fut emprisonné et vit ses biens confisqués lors de l'arrivée au pouvoir de l'ayatollah Khomeini en 1979. Elle arrive à Paris en 1993, elle y apprendra le français et deviendra écrivain, de langue française. Ces brefs repères biographiques ne sont pas inutiles pour se plonger dans la lecture de ce livre, publié en 2011, le 9ème de l'auteure et qui n'est qualifié ni de roman, ni de récit mais qui porte la mention "Psychanalyse I". La narratrice, dont le parcours est très similaire à celui de l'auteure, nous parle de sa vie à Paris, un an après son arrivée en France, après avoir fui l'Iran, son pays natal, étouffé par le régime des mollahs. Bien que ne parlant encore le français qu'avec difficulté, la jeune femme, en proie à des sentiments de dédoublement de personnalité, décide de consulter un psychanalyste. Les récits de ses séances avec son psychanalyste constituent la moitié environ des chapitres du livre, l'autre moitié racontant, en alternance, la vie de la narratrice quand elle était étudiante en Iran, avec quelques flashbacks dans son enfance.
Chahdortt Djavann a pris le pari de combiner dans ce livre deux types de narrations bien différents : une narration de type "historiques", sur le modèle de "mémoires", avec un récit personnel qui a des accents sociologiques et parfois polémiste (à l'encontre du régime islamiste) et une narration sur le mode du verbatim pour ses séances de psychanalyse où on la voit chercher à tâtons, non sans périodes de découragement, une porte de sortie aux troubles psychiques dont elle souffre et qui l'amènent à revisiter son enfance. Dans les deux cas, l'auteure fait preuve d'une grande liberté de ton et de jugement, allant parfois jusqu'à l'insolence et la provocation (à l'égard de son psy comme à l'égard du régime iranien, même si elle ne les met pas du tout sur le même plan).
Le style de Chahdortt Djavann est très vivant, très libre et pourtant très précis et très évocateur. Dans les chapitres consacrés à l'Iran, j'ai eu le sentiment de vivre ce que vivaient les jeunes iraniens à cette époque (mais les choses n'ont guère évolué depuis), à travers le regard caustique et désabusé porté par l'auteure. Les séances avec le psy, quant à elles, oscillent entre le burlesque et la détresse. La narratrice se bat contre ses démons et si elle rudoie parfois son analyste, elle s'attache néanmoins à ce travail analytique qui lui permet d'avancer et - peut-être - de ne plus subir l'emprise de ses voix intérieures ou bien d'en comprendre enfin le message.
Très riche par son fond, très enlevé et agréable à lire dans sa forme, cherchant un "parler vrai" quand bien même la parole est empêchée ou confisquée (par une théocratie ou par un Surmoi, tous les deux impitoyables) c'est un livre qui m'a profondément touché accompagné qu'une rencontre marquante avec une écrivaine dont j'espère lire bientôt d'autres ouvrages. Que me conseillez-vous ?
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