Pour quelques ozols de plus.
Dans l’amas stellaire d’Alastor où cinq trillions d’habitants occupent trente mille planètes, Trullion est un petit monde d’ilots et de marais où la vie est festive et bucolique, hiérarchisée et oisive. Seul le jeu de la hussade semble réveiller les ardeurs et les passions. Le terrain de jeu, constitué de grilles posées au-dessus de réservoirs d’eau, est parcouru par deux équipes qui se heurtent jusqu’à prendre le bouillon, le but consistant à toucher l’anneau d’or qui tient la robe d’une sheirl, une vierge incarnant l’esprit de son équipe. La troisième fois qu’un joueur atteint la sheirl, il la dénude, emportant la partie ainsi que les primes attenantes et conséquentes. Pour Glinnes Hulden, de retour sur Trullion après un engagement de dix années dans la Whelm, la police intersidérale d’Alastor, la pratique de la hussade pourrait être le seul moyen de reconstituer le domaine familial parti à vau-l’eau. En effet, son frère jumeau Glay, converti à la Fanscherade, un mouvement social rude et austère visant à mettre en place une exploitation industrielle à grande échelle, a cédé indûment une partie de la propriété ancestrale. Le père et le frère ainé de Glinnes sont mort ou porté-disparu. Sa mère est partie vivre ailleurs. Pour couronner le désarroi du jeune homme, une famille de nomades vindicatifs occupe ses terres. Glinnes manque cruellement d’ozols, la monnaie en vigueur et ne sait comment renflouer son domaine. En est-il seulement propriétaire dans la mesure où son frère ainé est porté disparu ?
Il est loisible aujourd’hui d’interpréter les intentions de Jack Vance à l’aune de nos valeurs et de notre culture actuelles. On peut y voir de la misogynie quant à l’utilisation des femmes dans un jeu fait d’astuces et de chocs. Ce serait passer bien trop rapidement sur la personnalité d’une sheirl telle Duissane, personnage tourneboulant et insaisissable, d’un grand intérêt romanesque. On peut y déceler de nombreuses allusions à la vie des bayous où les caïmans sont des Merlings, créatures aquatiques dévoreuses d’hommes, où les laissés-pour-compte sont des Trevanys, peuple nomade belliqueux et superstitieux, où les planteurs sont des Trills peu enclins à s’escrimer eux-mêmes à la tâche, etc. Si Jack Vance recrée un monde nouveau sur de vieux schémas, il sait aussi restituer effervescence et atmosphère exogènes avec brio. Le lecteur, accroché par la quête d’un homme désireux de s’ancrer sur sa terre natale, d’y retrouver ses racines, se laisse transporter d’aise dans les méandres des marais de Trullion. L’action ne fait jamais défaut et la narration est vive, fluide et colorée.
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