Une solitude crasse
Au banquet céleste, les méritants pourront s'y rassasier. Dans l'Amérique profonde et puritaine de 1917, à la veille de son engagement militaire dans la Première Guerre mondiale, la misère bat son plein et les pauvres hères s'échinent pour des clopinettes. Durs à la tâche, sales et affamés, les trois frères Cane, Cob et Chimney Jewett, décident, à la mort par épuisement de leur père, de s'affranchir en dévalisant les banques. A eux la belle vie, ici et maintenant mais la Terre est basse et le braquage est à haut risque. Plus au nord, dans l'Etat de l'Ohio, s'escriment les Fiddler, une famille de fermiers pauvres comptant chaque centime. Escroqués par un margoulin, Ellsworth et Eula Fiddler doivent aussi supporter la disparition de leur fils Eddie, adolescent pochetron fugueur qu'ils imaginent un temps engagé dans l'armée américaine installée à Camp Pritchard, bâti à la hâte et destiné à recruter et former les futurs bataillons de chair à canon.
Alternant les chapitres en passant d'une famille à l'autre, Donald Ray Pollock construit l'itinéraire d'une dérive humaine où les protagonistes vont se croiser, se rencontrer et se télescoper. Une kyrielle de personnages secondaires vient aviver et enrichir ces trajectoires hallucinées. L'écriture est directe, sans fard. Certaines scènes de sexe ou de violence, décrites par le menu, sont stupéfiantes. L'humour est à froid, noir, jaune, omniprésent. Les personnages révèlent leurs bas instincts mais aussi leurs besoins viscéraux où l'amour, l'amitié et la loyauté tiennent leur place. La fratrie Jewett est pitoyable et attachante entre Cane, tête pensante, Chimney, impulsif et déterminé, Cob, gentil rondouillard un peu simple. L'auteur n'a pas son pareil pour mettre à nu et donner à sentir la solitude la plus misérable. En ce sens, il est impressionnant.

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