Les démons zélés
Essor et chute de l’« ange de la mort », telle est la trajectoire symbolique qui sous-tend le périple de Josef Mengele (1911-1979), l’épouvantable médecin d’Auschwitz, reconstitué par Olivier Guez, auteur du prix Renaudot 2017. La fiction documentée s’ouvre sur l’arrivée du fuyard nazi à Buenos Aires en 1949. Bénéficiant de réseaux et de contacts, Mengele débarque dans l’Argentine du dictateur Juan Perón avec l’idée de commencer une nouvelle vie mais le découragement et la déprime le guettent. Bien vite le cénacle d’anciens SS et tortionnaires cosmopolites réfugiés en Argentine (le cercle Dürer) devient un appui capital pour Mengele qui retrouve du lustre sous l’aile protectrice d’Uli Rudel, aviateur légendaire et nazi impénitent. Tout est possible d’autant que sa riche famille bavaroise, la multinationale de machines agricoles Mengele, le soutient et l’emploie à distance. Mengele épouse en tout petit comité sa belle-sœur Martha, le 25 juillet 1958, à Nueva Helvecia, en Uruguay. Ce serait bien « une vie de pacha » si l’acharnement du juge allemand Fritz Bauer et l’enlèvement d’Adolf Eichmann par le Mossad en mai 1960 ne remettaient les pendules de la justice à l’heure. Pour Mengele, c’est la fuite (au Brésil), la montée de la paranoïa et le début de la déchéance.
Le sinistre médecin aura martyrisé, tué et disséqué des myriades d’enfants innocents, expérimenté des abominations sur les jumeaux et les êtres difformes, collectionné les yeux bleus de ses proies humaines, « envoyé quatre cent mille hommes à la chambre à gaz en sifflotant » et jamais il n’aura éprouvé l’ombre d’un remords ou laissé la trace d’un repentir hormis celui de ne pas avoir pu finir le « travail » pour le 3e Reich. Cerise pourrie sur le gâteau du diable, il aura échappé à tout procès pourtant ontologiquement impuissant à juger de tels actes. N’en déplaise à Hannah Arendt à travers sa théorie sur « la banalité du mal », Mengele est une monstruosité engendrée par le système nazi. Arriviste, zélé et sans état d’âme, il aura déployé ses ailes de vampire sur une Europe exsangue.
Olivier Guez sonde la figure maléfique de Mengele en l’examinant à distance, l’exhumant du cloaque de ses turpitudes, l’agitant telle une marionnette déséquilibrée pour la faire revivre dans la conscience du lecteur qui ne fait qu’observer un rat affolé dans le laboratoire de la vie. Si le travail mémoriel est salutaire, il ne doit pas occulter que Mengele n’était pas seul à « œuvrer » à Auschwitz-Birkenau. Les répugnants Horst Schumann, Carl Clauberg, Victor Capesius, Friedrich Entress, August Hirt, ainsi que les trois cent cinquante professeurs d’université, biologistes et médecins auront retrouvé, après coup bas, leur vie civile sans être inquiétés. Tous les démons zélés, cohorte d’une apocalypse en marche, sont de funèbres phénix capables de ressurgir dès que les circonstances deviennent favorables. Mengele, aujourd’hui un tas d’os détenus à l’institut médico-légal de São Paulo, est toujours vivant.
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