Cette étude universitaire, presque un traité, peut-être issue de ce qu'était naguère la fameuse thèse d'État, date de 1972 : elle constitue le premier travail scientifique sur le naturisme en France, elle porte les marques de son époque stupéfaite par « l'explosion de la mode du nu », et demeure malgré tout une référence incontournable et fort instructive sur le sujet. Dans son approche déjà assez interdisciplinaire (historique, linguistique, philosophique, psychologique, sociologique – mêlant le quantitatif au qualitatif), l'on peut aisément déceler deux grands thèmes : l'analyse critique du vêtement et celle du mouvement naturiste. Cette dernière ressent de la posture du chercheur qui, pratiquant le naturisme, ne peut s'empêcher un enthousiasme qui s'apparente parfois au prosélytisme : si cela assure une meilleure véridicité que celle des arguments de ses détracteurs, qui ne le pratiquent jamais, c'est au détriment de l'intérêt relatif de ce thème par rapport à l'ensemble ; en somme on aurait apprécié une plus stricte fidélité à l'énoncé du titre : Le nu et le vêtement ; et cela pèse dans un ouvrage touffu de 400 p. bien serrées...
Ce qui gratifie le plus le lecteur, c'est donc la latitude de son analyse philosophique et psycho-sociologique, la mise en perspective avec l'Antiquité et quelques fragments bibliques, le rappel de l'histoire de l'Église et notamment des hérésies, qui commencent à révéler à mes yeux une surprenante continuité à travers les siècles. En outre, on s'amusera à constater que, de même que l'ouvrage principal de Marx a pour sujet (la critique du) capitalisme, cet ouvrage, toute proportion gardée, porte surtout sur (la critique du) vêtement... La conclusion comporte une ouverture psychanalytique (à la fois jungienne et lacanienne) sur l'auto-représentation de l'humanité et de sa place dans l'univers en fonction de sa condition vêtue (ou dévêtue) : outre qu'elle surprend et alimente la pensée, elle anticipe sur les intérêts de recherche postérieurs d'un auteur étonnant.
Extrait de la table des matières :
Chapitre Ier : « Définition et analyse du vocabulaire » [nominale, sémantique et opérationnelle du vêtement et du nu]
Ch II et III : « Les défenseurs du vêtement » [respectivement les religieux : chez les Grecs, Romains, Juifs, Chrétiens – et les philosophes : de Lucrèce à Hegel, Compte, Alain]
Ch IV : « Les avantages du vêtement » [fonctions et avantages : matériels, psychologiques, sociaux]
Ch V : « Le nudisme religieux ou les premiers échecs » [la Gnose, le Moyen-Âge, à partir de la Renaissance]
Ch VI : « La défense du nu chez les penseurs et les philosophes » [dans l'Antiquité, Rousseau, modernes]
Ch VII : « Le mouvement naturiste : histoire » [en particulier en Allemagne, France, États-Unis]
Ch VIII : « Le mouvement naturiste : composition »
Ch IX : « Le mouvement naturiste : activités »
Ch X : « Le mouvement naturiste : étude comparative »
Ch XI : « La critique du vêtement » [traditionnelle et nudiste sur les plans : matériel, psychologique et social]
Ch XII : « La valeur de la gymnité » [matérielle, psychologique, sociale]
Ch XIII : « L'impact du naturisme sur la société contemporaine »
Ch XIV : « L'image du mouvement naturiste en France » [selon les secteurs, selon les problèmes]
Synthèse sur les tendances du mouvement naturiste :
Courant allemand : fondamentalement hygiéniste, culture physique et sportive intensive, restrictions alimentaires... Courant français : production d'un nu chaste et familial, vacancier (plages et campings bon marché), habité par des principes d'égalitarisme. Courant américain : s'intéresse beaucoup à la sexualité et à la psychothérapie par le nudisme. (p. 211)
Cit :
« Les vêtements ont fait de nous des hommes ; ils risquent de faire de nous des porte-manteaux. » Carlyle – cit. en exergue.
« Sans trop s'en rendre compte, la pensée rationnelle d'une région et d'une époque n'est très souvent que la simple élucidation ou justification de ses mythes primitifs. » (p. 61)
La mode (vestimentaire) possède « une fonction relevant de la destruction rituelle des biens. Elle s'est ainsi apparenté pendant certaines périodes au 'potlach'. [… Elle] se greffe sur le plaisir de porter des habits neufs et nouveaux. » (p. 215)
« Ainsi, la critique nudiste du vêtement semble radicale : elle s'en prend à ses défauts matériels et a fait sombrer la théorie utilitariste de la protection. Elle a montré la relativité, les aberrations et la contradiction de la pudeur qui se retourne toujours en érotisme. Elle fait paraître les méfaits sociaux du vêtement comme technique de séparation, outil de discrimination, et instrument d'oppression. Symbole du social, de l'aveu même de ses protagonistes, le vêtement se trouve par là même le grand accusé. Sa tartufferie et les superstitions dont il est l'objet font de lui le symbole de tout ce qui ne va pas dans l'homme et dans la société. » (p. 242)
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