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[Les lauriers sont coupés | Édouard Dujardin]
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apo



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Posté: Jeu 01 Juin 2017 19:09
MessageSujet du message: [Les lauriers sont coupés | Édouard Dujardin]
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Mon objectif dans cette lecture, c'était de vérifier la nature du rapport entre la description matérielle – du cadre extérieur – et le monologue intérieur – imitation du flux de la pensée – sachant que ce roman constitue l'acte de naissance de celui-ci.
Il m'apparaît que le monologue intérieur est une dérivation directe de la description matérielle, et non un substitut, une forme stylistique qui se caractérise également par une syntaxe très hachée, très peu verbale, et une ponctuation particulière, où le point-virgule a la part belle.
L'ouvrage n'est pas écrit entièrement en monologue intérieur. En vérité, les dialogues sont encore très présents, car la narration se déroule de façon contemporaine à l'action – au cours d'une soirée ; les descriptions des gestes et actes du protagoniste s'y mêlent également, ce qui constitue une contradiction flagrante avec le monologue intérieur ; de plus, le ch. 5 se compose en grande partie d'extraits de lettres, donc de textes écrits : autre dérogation au genre.
Mais Dujardin doit avoir senti qu'il tenait là quelque chose d'intéressant, dont il essaya de multiples variations en y revenant encore et encore. Le passage de l'endormissement du héros est célèbre et indiscutablement habile – drôle aussi, puisque, dans les bras de l'aimée, monsieur Prince risque fort de prononcer tout haut le nom d'une autre, à moins qu'il ne l'ait fait... –, mais personnellement j'ai trouvé que le plus abouti en absolu est le passage suivant, qui s'inscrit dans la description du trajet entre la maison du héros et celle de Léa au son d'une musique de rue. On notera l'introduction d'une partition musicale en miniature, ainsi qu'un usage impressionnant des répétitions, qui peuvent être interprétées de deux manières : comme la reproduction d'un rythme musical ou bien, surtout, comme une très efficace description de la pensée qui se développe par assonances et glissements successifs de métaphores (ce qui correspond bien à une pensée désinvolte) :

« […] un chant d'orgue de Barbarie, un air à danser, une sorte de valse, le rythme d'une valse lente... [miniature de deux mesures de partition] … où est l'orgue de Barbarie ? derrière, quelque part, j'entends sa voix criarde et douce... "j't'aim mieux qu'mes dindons"... un chant qui va et recommence... [trois mesures] … le calme d'une voix qui naît, sous un paysage calme, dans le calme cœur amoureux, et le désir très contenu d'une naissante voix ; et la voix répondante, équivalente et plus haute, ascendante, calme et ténue, ascendante en le désir ; et encore elle qui s'élève ; la croissance du désir ; sous le site toujours naïf et dans ces naïfs cœurs, l'ascendance monotone, alternée, calme, d'une très douce angoisse ; le simple doux chant qui s'enfle et le simple rythme ; entre les feuillages frais, parmi la sourdine des bruits quelconques, voix grêle, s'enfle le chant criard et doux, la monotone litanie, le fixe rythme des lentes danses ; et surgit l'amour... » (p. 71).

Je voudrais conclure par la trame du roman, qui ne me paraît aucunement ancillaire au procédé d'expression qui, naturellement, retient les lecteurs avertis depuis que sa renommée est établie. Les états d'âme et oscillations de sentiments d'un jeune homme condamné à un amour avec une demi-mondaine sans réciprocité, évidemment, pour des raisons structurelles liées au système matrimonial en vigueur à son époque, sur une durée qui s'étend entre quelques heures avant le rendez-vous et le douloureux Au revoir, se prêtent particulièrement bien au monologue intérieur, c'est-à-dire à une description d'âme tourmentée. L'amour non partagé à l'heure du rendez-vous, ça fait une sacrée action mentale !
Sans doute les auteurs successifs auront vite deviné qu'il eût suffit de supprimer la synchronie pour épurer le procédé de ses contradictions.

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