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[Les portes du néant | Samar Yazbek]
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apo



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Posté: Lun 17 Avr 2017 8:20
MessageSujet du message: [Les portes du néant | Samar Yazbek]
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Bien qu'exilée en France depuis la guerre, la journaliste-auteure alaouite Samar Yazbek retourne clandestinement dans le nord de la Syrie, zone hors contrôle d'El-Assad, à trois reprises, entre août 2012 et août 2013. Elle a deux motivations : remporter un témoignage de la situation actuelle du conflit, à l'instar du journal de la révolution syrienne qu'elle avait précédemment publié (chez Buchet Chastel en 2012 sous le titre : Feux croisés) ; contribuer, auprès de révoltés anti-régime, à la mise en place de réseaux média locaux ainsi qu'à la coordination de femmes pour assurer aux veuves leur indépendance financière par des micro-projets d'économie de survie et pour tenter de leur faire prendre la relève de l'instruction des enfants en temps de guerre.
Mais le récit prend surtout la forme du journal de sa propre survie, avec et auprès de ses hôtes, dans un quotidien fait de bombardements incessants, d'embuscades, de déplacements sur la ligne du front, de promiscuité avec la mort et les meurtrissures, des privations les plus radicales (d'eau, de nourriture, d'électricité) qui caractérisent le lot des humains qui se trouvent sous le feu guerrier. Puis, au fur et à mesure que s'accumulent les entretiens recueillis, la réflexion avance en elle sur sa condition de l'exil et l'urgence du retour et de la sauvegarde de la mémoire. De même, apparaissent aussi les métamorphoses de la société syrienne : comment la révolution pacifique, citoyenne et unitaire, ayant pour seul but la démocratisation qui passerait éventuellement par l'éloignement du clan Assad se transforme en résistance armée, puis en guerre de religion entre sunnites et alaouites, en radicalisation islamiste des combattants – de l'Armée Syrienne Libre au Front al-Nosra et bientôt, à cause de l'arrivée massive des guerriers étrangers de l’État islamique, comment elle devient enfin, de plus en plus, le champ de bataille des puissances extérieures, l'Iran et la Russie d'une part, et d'autre part les milices de l'internationale djihadiste ; comment, insidieusement, cette modification des belligérants atteint au plus intime le tissu social qui oscille entre sentiment d'invasion sur deux fronts - Assad et les islamistes – et acceptation des haines religieuses, de pactiser avec ces derniers et d'envisager un conflit de plusieurs décennies.
Cette métamorphose concerne personnellement la reporter : en effet, de militante anti-régime, son identité attribuée – et les risques qu'elle encourt, avec ses protecteurs – se mue en celle de femme, illégitime à toute activité extra-domestique, de journaliste avec des liens occidentaux – susceptible d'enlèvement pour rançon – et surtout d'Alaouite, donc d'ennemie.

La lecture est ardue : nous sommes en présence d'un matériau brut de reportage de guerre tel qu'on n'a plus l'occasion d'en lire, malgré la prolifération des conflits ces dernières années ; l'implication personnelle de l'auteure, de plus, tend à altérer l'équilibre coutumier entre le cognitif d'un reporteur étranger et l'émotionnel d'une activiste et citoyenne du pays. Souvent, j'ai souhaité un peu plus de recul, ou au moins de distance, d'explication destinée à l'étranger que je suis aussi, au lieu de me trouver submergé par un catalogue d'horreurs. Mais je comprends aussi l'urgence de la démarche de la journaliste, confrontée sans doute à tant d'incompréhension en Occident sur la situation de son pays, une urgence d'archiviste avant même que de documentariste – les analyses et les explications peuvent attendre –, une prise sur le vif et dans la chair vive.

Cit. :
« C'était le ramadan et ils espéraient rompre le jeûne bien avant que quiconque dans la famille n'ait la tête tranchée ou qu'un père ne soit obligé de ramasser les restes de ses enfants sous les décombres après la chute d'un obus ou d'un baril d'explosifs. Fait notable, après deux années et demie de bombardements quotidiens, ils avaient développé une nouvelle relation avec le ciel. Ils le tenaient sous surveillance constante. Personne ne sortait sans examiner d'abord le ciel ou sans monter sur la terrasse pour l'observer, à l'affût du moindre signe de danger. » (p. 147)

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