Ce roman, sous forme de bilan dressé en fin de vie à la seconde personne du singulier, représente tout ce que l'existence réussie d'une femme française contemporaine, vivant en province (Haut-Dauphiné) avec mari, travail de bureau et trois enfants, possède de désespérément insatisfaisant pour elle. S'il s'agit d'une version actualisée de Madame Bovary, comme le laisse penser le nom de la protagoniste, M.A., et si le souvenir de ma lecture flaubertienne très ancienne ne me trompe pas, je dois constater que l'insatisfaction féminine d'aujourd'hui, d'après Divry, est beaucoup moins fantasque que jadis, que le quotidien de l'héroïne est beaucoup plus lénifiant que tragique, grâce à ses loisirs :vacances, convivialité de barbecue, solidarité familiale intergénérationnelle, multiples activités new age – yoga, psychothérapie, acupuncture ... –, engagement associatif, sorties culturelles, etc., que même l'adultère y occupe une place plus circonscrite sinon moins importante, que sa position sociale, dans la fossilisation d'une institution matrimoniale désormais révocable et malgré une plus grande fragilité professionnelle et patrimoniale (fusion d'entreprises, cession de succursales, licenciements, cambriolage) constitue un bouclier rudement solide.
Si la représentativité de ce portrait, allant de l'ennui de l'enfance de M.A. au vide de sa vieillesse – avec une brève incursion après son décès à un âge avancé – se jauge à l'absence de surprises que la lecture réserve, le pari de l'auteure est réussi : en dépit de mon impossibilité personnelle à m'identifier à son personnage – pour cause de genre, de statut social, de conditions de vie, de parentalité – à aucun moment ma lecture n'a été bousculée. Pas même par le style, parfaitement lisse – hormis peut-être un usage un peu surabondant du passé simple (ou bien frappe-t-il parce qu'utilisé au tu et au nous?) et celui, carrément saugrenu, du point-virgule à la place de la virgule – tel que le tu peut vraisemblablement représenter M.A. se remémorant, avec juste autant de détachement et d'impartialité qu'en aurait un observateur qui ne tente d'inspirer ni la sympathie ni l'antipathie pour cet être ordinaire, banal, ennuyeux, ennuyé.
Ce roman, traduit et exporté dans une culture éloignée de la nôtre, a sans aucun doute une très grande valeur documentaire.
Cit. :
« Ce sentiment d'insatisfaction, tu ne pouvais l'exprimer, car – les images du monde entier venaient te le rappeler – tout était programmé pour que tu sois heureuse. Dans ton pays, pas d'inondations, pas de guerre, pas d'épidémies, les gens mouraient en âge de mourir, pas de faillite en vue, juste une carrière âpre à gravir pour ton mari et le souci d'orientation des enfants. […] Les épreuves que tu rencontreras ne seront que des embêtements secondaires, des difficultés qu'on affronte entre adultes et qui se résolvent pour peu que l'on reste raisonnables ; certes elles laisseront des traces sur ta peau ; la peau de ta main qui prend ce verre aujourd'hui dans cette cuisine ; mais se sont des rides ordinaires, pas les cicatrices de grands blessés. » (pp. 124-125)
« Et, quand les tasses étaient posées sur le plateau avec des sucreries, quand dans une débauche de paroles vous faisiez le tour de votre semaine, vos anecdotes révélaient une dimension inattendue ; grâce aux conseils de l'une ou de l'autre, vous entrevoyiez sous des événements minuscules une grande richesse psychologique ; vous vous réjouissiez de découvrir cette profondeur, à croire qu'en soumettant vos existences de femmes à de tels décorticages, vous tiriez bénéfice, toutes à présent ménopausées, d'un exhausteur de goût. » (p. 229)
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