Suite aux attentats de janvier 2015, le journaliste Nicolas Truong pose à Patrick Weil, spécialiste de l'histoire de l'immigration, de la nationalité et des politiques publiques afférentes, 11 questions inspirées par cette actualité :
1. L'immigration est-elle la cause de tous les maux ou « une chance pour la France » ?
2. Enjeux de la bataille sémantique entre les termes : « assimilation », « insertion », « intégration », « nationalité », au regard de l'Histoire ;
3. Les débats idéologiques sur la Mémoire, le racisme et l'antiracisme, la « concurrence des victimes » ;
4. Quelle histoire de France faudrait-il enseigner dans les écoles ?
5. Qu'est-ce que l'identité de la France ? [Réponse en quatre piliers : le principe d'égalité, la langue française, la mémoire de la Révolution, la laïcité]
6. Où se situe la laïcité la plus conforme à nos principes, mais également la plus adaptée à la nouvelle donne sociale et à la mondialisation de la religiosité ?
7. Que répondre à ceux qui disent : « Je hais la France et les Français » ?
8. Comment expliquer le retour de l'antisémitisme ?
9. La religiosité se développe-t-elle, et faut-il résister ou s'adapter à ses nouvelles revendications ?
10. Comment lutter contre les discriminations ?
11. Ouvrir ou fermer les frontières ?
Les circonstances et le « format » (journalistique) qui président à la naissance de ce texte, la manière dont les questions sont posées et la brièveté des réponses (à peine 15 p. chacune en moyenne), le ton même des réponses font de ce livre un ouvrage de vulgarisation susceptible de décevoir le connaisseur de ces thèmes ; pourtant ce sont ces mêmes caractéristiques qui font que celui-ci souhaite le mettre dans les mains du plus grand nombre.
En particulier, les six premiers chapitres, qui sont de nature plus historique, ou se prêtent mieux à être ainsi abordés, sont certainement les plus instructifs, car c'est le spécialiste qui y parle, mais ils présentent de nombreux éléments connus lorsque l'on est familier des travaux scientifiques de l'auteur ; quand aux cinq derniers, on a le sentiment que l'on est tout aussi légitimé à être en désaccord avec l'auteur, puisqu'il se situe dans un registre de défenseur d'une opinion de profane. Il s'y trouve cependant des anecdotes savoureuses, une agréable légèreté à la lecture, des références bibliographiques récentes et intéressantes, et aussi la bienveillance humaniste à laquelle on s'attend d'un chercheur en sciences sociales, doublée de la sensibilité provenant de l'identité collective d'un groupe longtemps persécuté.
Cit :
« Après les attentats de janvier, les actions du gouvernement ont très vite perdu tout sens. Comment pouvait-on invoquer sans cesse la laïcité et mettre à l'ordre du jour l'ouverture des magasins le dimanche, sans donner une priorité absolue à l'ouverture des bibliothèques, le lieu de l'esprit de la République et de la laïcité ? Au lieu de concevoir la laïcité comme un régime d'ordre, de contrôle et de punition, il faut la penser d'abord dans sa fonction libératrice, proposer qu'il y ait partout, dans toutes les villes, ouverts presque 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, des refuges républicains, des lieux physiques où se retrouver pour apprendre, pour pratiquer la libre communication de l'information et des idées, pour construire sa liberté de conscience. » (p. 145)
« Ce qui fait l'identité de la France, ce ne sont pas ses paysages qui peuvent être très différents entre eux […], c'est la construction, par des générations de Français, d'une histoire sociale et politique commune qui donne des références particulières et a façonné notre identité. Et ce qui fait que certains Français se sentent en "insécurité" en voyant emménager près de chez eux des compatriotes de couleur, c'est que leur référent historique ne les a jamais inclus. La France, dans sa tête, ce n'est pas la Guadeloupe et cela a été encore moins l'Algérie, le Mali ou le Vietnam. Or, cela l'a été et nous devons nous le représenter ainsi.
Ce dont parfois nous souffrons, ce n'est donc pas d'insécurité culturelle, mais d'insécurité historique.
Cette insécurité d'ordre historique est d'abord liée à une difficulté à nous approprier toute notre histoire, à la regarder en face, pour que certains de nos compatriotes ne nous paraissent plus étrangers mais qu'avec eux nous fassions "histoire commune". » (p. 160)
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