Toute la physique à portée de main (Une précédente version de cet ouvrage a paru sous le titre Toute la physique sur un timbre-poste). – Boqueho Vincent. – Paris : Dunod, 2010, 2013, 2016. – 525 p. – ISBN 978-2-10-073835-9
Entre les livres anciens que je trouve sur des sites comme Gallica et les livres modernes de seconde main que je trouve sur les brocantes, il est devenu rare que j'achète un livre neuf. Pour celui-là, j'ai craqué. Il est vrai qu'outre le sujet, qui ne pouvait que m'attirer, la présentation matérielle est bien pensée : une couverture colorée au graphisme moderne, un format de 19 cm sur 24, une subdivision du texte assez poussée, des marges et un interlignage suffisants, des schémas nombreux, tout ce qu'il faut enfin pour donner un « gris typographique » d'une agréable clarté.
Dans son avant-propos, l'auteur indique qu'il se propose « de présenter l'ensemble des lois de la Nature [la majuscule est de lui] et d'expliquer la grande majorité des phénomènes qui nous entourent … Ils s'avèrent », dit-il, « être tous issus des mêmes causes fondamentales : la même loi explique que nous ne traversons pas le sol, que nous voyons la lumière renvoyée par notre environnement et ce qui produit notre électricité et fait marcher nos ordinateurs. » Aussi se fixe-t-il un objectif : « faire tenir la majorité des phénomènes qui nous entourent en une seule ligne suffisant à tous les décrire ! » Et cette « ligne » se trouve effectivement dans l'épilogue (elle ne correspond pas exactement à ce que le mot « ligne » nous évoque généralement, mais je n'en dis pas plus).
L'auteur adopte le parti-pris suivant : « Revenir systématiquement aux fondements pour expliquer les phénomènes requiert de raisonner avant tout en termes physiques, et non pas mathématiques. Les maths … peuvent nous amener à oublier la réalité qu'elles sont censées décrire … il est … possible de tout expliquer sans passer par les maths, ce qui est parfois négligé … Nous nous en tiendrons donc aux notions mathématiques les plus élémentaires, que nous supposerons acquises par le lecteur. »
« Finalement, à qui est destiné ce livre ? » écrit encore l'auteur. « Il passe en revue la grande majorité des notions de physique depuis le programme de lycée (électricité, mécanique) jusqu'à la troisième année de Licence (physique quantique, relativité, physique nucléaire). Par ailleurs, il reprend les concepts depuis la base, et sa lecture ne nécessite pas de prérequis particuliers. Ce livre intéressera donc l'étudiant dans le supérieur ou en fin de secondaire, désireux de consolider ses connaissances par une vision plus globale et moins calculatoire de la physique. Mais il est aussi dédié à tout curieux souhaitant comprendre tous les phénomènes quotidiens au travers d'une vision synthétique et unitaire. »
Le livre est divisé en cinq parties correspondant aux disciplines traditionnelles qui se partagent le domaine de la physique : mécanique, thermodynamique, électricité et magnétisme, optique, physique quantique, relativité et physique nucléaire. Ces cinq parties donnent vingt-huit chapitres, des sous-chapitres numérotés et des sous-sous-chapitres de longueur variable, mais parfois assez courts pour tenir à deux dans une page. Les explications données par l'auteur sont presque toujours extrêmement claires grâce à son effort pour ne rien supposer déjà connu. Pour les mémoriser, il me faudra (ou faudrait?) y revenir de temps en temps. Mais là où je me suis vraiment régalé, c'est avec le premier chapitre de la cinquième partie, "La lumière,onde ou corpuscules ?"
C'est précisément le point où je restais bloqué dans mes tentatives pour entrer dans la physique moderne. L'auteur commence par un exposé classique, mais clair et précis. La lumière est émise par « paquets » d'énergie de valeur déterminée, les fameux quanta, plus tard baptisés photons. L'expérience cruciale en la matière est celle d'Young. On place devant une source de lumière un obstacle dans lequel on a pratiqué deux fentes. Si on place un écran derrière l'obstacle, on n'observera pas la projection lumineuse des deux fentes car chaque fente se comporte comme une source de lumière à partir de laquelle la lumière se diffuse dans toutes les directions. Il va donc se produire des interférences, qui se traduiront sur l'écran par des « franges », alternance de zones sombres et de zones éclairées.
Si on diminue l'intensité de la lumière émise, l'intensité lumineuse des interférences diminue aussi. Si on finit par émettre la lumière photon par photon (je crois qu'on entre ici dans ce qu'on nomme une expérience de pensée), les photons vont apparaître sur l'écran aléatoirement, mais uniquement dans les zones auparavant lumineuses. L'interprétation classique veut donc que le photon soit une particule, puisqu'il n'apparaît qu'en un point précis (là où il cède son énergie à un électron qui, du coup, passe sur une orbitale d'énergie supérieure) mais qu'il soit aussi une onde électro-magnétique puisque le phénomène d'interférence est conservé. Pour accentuer le paradoxe, on considère donc que le photon est passé par les deux fentes à la fois.
Ce qui a tout changé pour moi, c'est, trois pages plus loin, le sous-sous-chapitre intitulé "L'onde de probabilité de présence", du sous-chapitre "La « réalité » en physique". L'auteur y explique que le photon pendant sa propagation peut être n'importe quoi, toute hypothèse est invérifiable car il n'est observable qu'au point où il est absorbé. « Or on constate que la détection, si elle est aléatoire, ne se fait pas en n'importe quel point : elle est soumise à des lois probabilistes. Plus précisément, on peut calculer une « onde de probabilité de présence » du photon : celle-ci indique la probabilité de détecter le photon en chacun des points de l'espace … Dans l'expérience d'Young, la présence des deux trous [fentes]« modèle » l'onde de probabilité de présence d'une certaine manière : au niveau du mur [écran], cette probabilité de présence « ondule », elle est nulle au niveau des franges sombres et maximale au niveau des franges lumineuses. » Et l'auteur ajoute : « Avec ce point de vue, le photon n'est plus vu comme une « onde électro-magnétique » quand il se propage. Il n'est vu que comme une particule ponctuelle, et l'onde nous permet simplement de savoir où cette particule a des chances d'être détectée. »
Voilà une interprétation qui m'enchante, car elle fait aussi disparaître un autre paradoxe : la propagation d'une onde dans le vide. Mais pour en revenir à ce que disait l'auteur dans son avant-propos, ce n'est qu'une interprétation en termes mathématiques, dont la commodité ne doit pas dissimuler la nécessité de parvenir à une interprétation en termes physiques. Quelles expériences pourraient-elles nous mettre sur la voie ? Les données existent-elles, qui n'attendent qu'un esprit ingénieux pour les combiner ?
Par ailleurs, j'ai hâte de progresser dans ma rééducation mathématique, afin de voir si l'idée de probabilités soumises à une variation périodique sinusoïdale a des implications dans le champ même du calcul des probabilités. En conclusion, une lecture particulièrement enthousiasmante.
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