Confronté à la surenchère du racisme étatique à l'encontre des migrants, à l'échelle nationale, européenne et mondiale (reniement du droit d'asile, violences policières contre les camps de réfugiés, érection de murs et autres barrières frontalières, généralisation de la pratique de l'enfermement des indésirables), indigné par l'alignement de la pensée politique diffuse sur les thèses de l'extrême droite, perplexe face à l'incapacité des dirigeants de prévoir les « crises migratoires » périodiques, d'y faire face sinon par des excès d'une violence désordonnée et agitée, protestant contre les coûts financiers (outre qu'humains) des mesures répressives toujours plus foisonnantes (contrôles et « sécurisation » des frontières avec des technologies et des armements de pointe, expulsions, multiplication des centres de rétention-détention) dont les résultats s'avèrent manifestement inefficaces – sauf la modification des routes de migration, la centralisation, verticalisation et concentration de pouvoir des réseaux mafieux des passeurs, la persuasion de l'opinion de la nécessité de multiplier encore et toujours les moyens et les ressources dédiés à la « sécurité », renforcement de la logique du bouc émissaire : « migrant-délinquant »... je me limitais à un premier niveau de réflexion qui consistait à affirmer que le racisme est quelque chose de bête et de méchant.
Cet ouvrage succinct et précis fournit un deuxième niveau, complémentaire même s'il commence par nier le premier : le racisme d'État apparaît comme totalement logique et économiquement lucratif, à condition de comprendre que ses finalités réelles sont à l'opposé des finalités affichées. La « sécurité globale » est en passe de devenir un secteur économique de tout premier plan, avec des taux de progression annuelle de 10-12% depuis Septembre 2001, avec des oligopoles issus de l'industrie des armements, des BTP et de la logistique qui développent de nouvelles branches dans le civil (et pourtant avec l'opacité du militaire), jouissant de l'extrême avantage d'être à la fois les chargés d'études, les fournisseurs des commandes publiques et les parties prenantes dans la prise des décisions sur la proportion des budgets publics à allouer à ce chapitre de la « défense » : cf. les consortium européen (GoP) qui a œuvré à la multiplication du budget de Frontex par quinze dans la dernière décennie, à son armement, et presque à sa diplomatie secrète ; il s'agit d'un secteur dont le chiffre d'affaires est estimé à plus de 450 milliards d'euros (p. 32), dont certains acteurs privés – jadis on les aurait appelés mercenaires – sont des employeurs multinationaux de tout premier plan.
Deux paradoxes en présence : « plus les frontières s'estompent, plus elles sont surveillées », ainsi que le paradoxe des finalités : pour que les affaires prospèrent et que le marché continue de se développer, il faut que croisse le sentiment de la menace, que la sécurité apparaisse comme une chimère inatteignable et pourtant toujours à portée de la main, que soient biaisées les méthodes d'analyse des coûts-opportunités d'instruments et d'outils de plus en plus sophistiqués, de plus en plus onéreux et rapidement obsolescents... Que les malheurs des uns (conflits, catastrophes écologiques, démographiques, creusement des inégalités d'accès aux ressources, etc.), à défaut d'être réglés globalement, constituent des sources de lucre pour une poignée de lobbyistes.
L'ouvrage est divisé dans les parties suivantes :
1. « Le grand marché de la sécurité », sur le marché mondial, le marché européen, et la spécificité de la détention des étrangers ;
2. « L'exploitation de la peur », sur les enjeux discursifs des « murs », sur la désignation de l'ennemi y compris là où elle est la plus arbitraire : le cas des Roms et l'amalgame immigration-terrorisme (cette partie comprend aussi quelques paragraphes assez prophétiques sur les banlieues et le terrorisme);
3. « Petits arrangements entre voisins », sur la diplomatie européenne avec ses pays riverains en vue de « l'externalisation » de la sécurisation des frontières – les cas du Maroc, Sénégal, Mauritanie, Libye, Ukraine (la Turquie n'était pas encore d'actualité...)
4. « Des instruments emblématiques de la marchandisation des contrôles », cas d'étude de Frontex et du business des camps.
La conclusion ouvre sur la question de l'évaluation des coûts des contrôles : lucratif n'est peut-être pas synonyme de profitable... Tout raisonnement sur l'inhumain était exclu par ailleurs.
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