L’arpentage des terres agricoles s’est développé dans l’Egypte ancienne mais si les techniques ont évolué depuis avec les relevés par satellite, l’arpenteur peut encore se servir de l’empan de ses jambes pour mesurer le monde. Autant John Gload, serial killer incarcéré, que son gardien de nuit, Valentine Millimaki, en savent quelque chose puisque tous deux ont eu des vocations et des vies contrariées. Insomniaques, ils occupent leur temps, pour Gload, à concevoir des rendements agricoles obtenus à partir de surfaces imaginaires, pour Millimaki, à parcourir les étendues sauvages du Montana à la recherche de portés-disparus. Toujours les mêmes obsessions les taraudent : Gload entend les vols vociférant des mouettes, Millimaki ne trouve que des morts qu’il photographie inlassablement. Entre les deux hommes une entente secrète s’instaure, masquée par les rôles sociaux à tenir, les non-dits agissant comme des caisses de résonance, les obligations réciproques. Toute parole compromettante émanant de Gload sera rapportée au supérieur hiérarchique de Millimaki afin d’alourdir un dossier déjà accablant. Toute sa vie, John Gload a tué, décapité et mutilé ses victimes, les enterrant dans la nature afin qu’elles ne puissent jamais être identifiées. La peine de mort abolie, il craint l’enferment qui est une mise à mort programmée et différée. Le jeune policier n’a pas vu son couple partir à la dérive. Sa femme qu’il adore le quitte. Valentine devient une ombre le jour et la nuit. John perçoit les changements chez son gardien et loin d’en profiter, il compatit à sa manière, montrant une lucidité et une subtilité d’esprit qui l’humanisent profondément.
Ce 1er roman sans pathos de Kim Zupan est diablement réussi d’autant qu’il joue d’échos entre des comportements humains où les notions de bien et de mal se brouillent ainsi du flic arriviste Weldon Wexler prêt à tout pour parvenir à ses fins quels que soient les moyens utilisés. John Gload est effrayant car il tue sans état d’âme et sa clairvoyance à propos des vies lobotomisées n’en est pas moins troublante mais sa finesse psychologique le hisse bien au-dessus des rustauds policés. Alors que le roman se recentre sur un huis-clos avec un assassin incarcéré et un policier dépassé, la tension demeure de bout en bout et jamais l’attention du lecteur ne se relâche. Le titre original : « The Ploughmen » pouvait se traduire par : « Les laboureurs », au sens littéral. La traductrice a préféré lui calquer un titre de son invention autrement plus évocateur.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]