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andras




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Posté: Mar 12 Avr 2016 14:17
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Malgré son titre accrocheur et son sous-titre qui l'est encore davantage ("Essai sur une zone à défendre, la littérature"), le livre d'Hélène Martin-Kajman est un livre difficile et qui exige de son lecteur une attention très soutenue. Je ne suis pas du tout un spécialiste du champ de la critique littéraire, ni de celui des pratiques culturelles (dans le cas présent, la lecture), champs à l'intersection desquels se situe cet ouvrage. Mais, sans doute à cause de mon intérêt ancien pour les sites de partage de livres ou de lectures, j'ai été attiré (via un article de Télérama) par ce livre proposant une analyse rigoureuse des modalités de transmission de la littérature et des moyens de sauver cette activité des dangers qui la menace. La complexité du livre et mon absence d'expertise dans ce domaine font qu'il m'est très difficile d'en faire la critique. Je ne vais pouvoir livrer que quelques modestes points de vue qui ne demandent qu'à être plus éclairés si d'autres que moi veulent bien y ajouter leurs commentaires ou leur propre critique.

J'ai été à la fois séduit et déçu par ce livre. J'ai d'abord été séduit par la passion avec laquelle l'auteure défend la nécessité d'un partage de la littérature. Le texte n'est rien en lui-même, sa valeur n'est que dans ce lien qui va se tisser entre le lecteur et l'auteur au travers du livre, et éventuellement avec d'autres lecteurs. Des intermédiaires peuvent contribuer à tisser ce lien : le parent qui lit un livre à son enfant, l'enseignant qui explique un texte à ses élèves ou ses étudiants. Curieusement, à aucun moment HMK ne mentionne les blogs ou les sites de partage de lectures qui sont pourtant aujourd'hui (et depuis quelques années) ancrés dans notre vie de lecteurs. Quant aux bibliothécaires et libraires qui sont aussi des médiateurs de la littérature, ils sont quasiment absents de ce livre. Malgré tout, l'auteur a de belles formules pour plaider en faveur de la subjectivité du lecteur et pour dénoncer les analyses scientifiques basées uniquement sur un découpage technique et distancié du texte, faisant fi de ce que cela peut provoquer chez le lecteur, analyses qui tiennent pourtant le haut du pavé dans le milieu universitaire.

Un autre combat de HMK, lié au précédent, est celui en faveur d'une multiplicité des interprétations d'un texte, ce qu'elle appelle le "jeu des figures". Il doit y avoir du jeu dans un texte pour que l'on puisse parler de littérature. Si le texte est "unaire", sans jeu possible sur sa signification, alors ce texte est potentiellement dangereux : il peut alors juste transmettre un traumatisme et blesser ses récepteurs. Malheureusement, les deux exemples que met en avant HKM à l'appui de sa démonstration, Le Grand Cahier d'Agota Kristof et La Chèvre de Monsieur Seguin de Daudet, ne sont pour moi en aucun cas des textes "unaires". L'auteure lance un anathème sur ces deux textes (elle y revient régulièrement dans son livre). Pourtant si elle était allé jeter un coup d'oeil sur des sites lecteurs, elle aurait constaté que ce livre obtient des notes de l'ordre de 8/10, ce qui laisse penser que ce n'est pas un texte purement "traumatique" et qu'on peut y trouver pour le moins une "bonne part". Par ailleurs, le Grand Cahier est le premier volet d'une trilogie et on ne peut avoir de jugement théorique sur celui-ci sans évoquer les autres volets de la trilogie (La Preuve et Le Troisième Mensonge) qui apportent des éclairages différents, y compris sur le premier volet. Quant à la fable de La Chèvre de Monsieur Seguin, elle a tellement traumatisé HKM qu'elle se refuse à la lire à ses enfants ! Eux seront donc dispensés de "lire dans la gueule du loup". Je ne peux m'empêcher de penser que c'est vraiment dommage de les priver de cette lecture.

HKM appuie la plupart de ses démonstrations sur des œuvres du XVIIe siècle (Corneille, Molière, Mme de Sévigné, La Fontaine ...). Le Grand cahier est la seule œuvre postérieure au XIXe siècle mentionnée dans ce livre (mis à part une citation un peu plaquée des Villes Invisibles d'Italo Calvino dans la conclusion) et c'est pour nous la déconseiller très vivement ! Je trouve dommage cette absence la littérature du XXe et du XXIe siècle dans un livre qui pourtant "récupère" dans son titre une expression très actuelle comme "zone à défendre". Quand HMK veut nous montrer un exemple de ce qu'elle considère comme "beau" en littérature, elle cite un article du dictionnaire de Furetière ! J'ai envie de dire : "Allez, Hélène Martin-Kajman, encore un effort pour être zadiste !". Toutefois ses références dix-septiemistes sont souvent très interessantes. Je signale tout particulièrement son analyse du Bourgeois Gentilhomme qui m'a personnellement beaucoup plu.

Je regrette que HMK ne se soit pas davantage intéressée aux lecteurs dans leur diversité et aux conditions de la lecture dans le monde contemporain. Ce n'est que dans les toutes dernières lignes de son livre qu'elle parle du rôle que peut avoir la littérature dans l'accueil des jeunes immigrés, qui sont aussi des exilés, comme le fut en son temps Ulysse, un des tous premiers héros de la littérature. J'aurais aimé que l'auteur consacre davantage de place à ce type de thématique.

Enfin, en dépit du fait que le livre soit un essai abondamment pourvu de références et de citations qui en rendent la lecture ardue, je trouve rafraichissante la tentative de l'auteur s'échapper parfois du territoire très balisé du monde universitaire, notamment en nous parlant des réactions de ses deux fils (à qui elle dédie son livre) à telle ou telle lecture. Par ailleurs, la langue, même technique, est belle et j'ai trouvé certaines phrases très savoureuses.

Même si, comme on l'a vu, certains aspects de ce livre me laissent sceptique, j'ai tout même envie d'inviter les passionnés des livres à le lire car il me semble important que des universitaires se penchent avec sérieux sur certaines choses qui (il me semble) nous tiennent particulièrement à cœur, agoriens, babeliotes ou bookcrosseurs : le partage de nos lectures, la place de ce partage dans la littérature et, également, tout ce qui peut, dans certains cas empêcher ce partage et figer le texte dans une pure répétition traumatique. La littérature a besoin de défenseurs et, zadiste ou pas, Hélène Martin-Kajman est dans notre camp !
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