J'ai mis un certain temps à comprendre où voulait en venir Roberto Bolaño...
"La littérature nazie en Amérique" se présente comme une anthologie d'auteurs nés entre la fin du XIX e siècle et les années 50/60, hommes et femmes issus de milieux sociaux divers, que l'écrivain a regroupé en catégories aux titres parfois poétiques ("Les héros mobiles ou la fragilité des miroirs", "Mages, mercenaires, misérables"...).
En lisant les premières biographies, plus ou moins brèves, l'une occultant la précédente et la reléguant dans un oubli quasi instantané, je me suis dit que je me trouvais là face à un exercice de style qui allait vite devenir barbant. Enfin, je ne me le suis pas dit trop fort tout de même, parce que... Bolaño, quoi ! Il y avait forcément quelque chose à comprendre derrière cette suite de portraits, d'autant plus que le deuxième sentiment que leur découverte a assez rapidement suscité, est celui d'un malaise sourd mais néanmoins bien présent, qui m'a fourni l'une des clés permettant de comprendre -du moins je crois- le but de l'auteur.
Dire que l'anthologie imaginaire de Roberto Bolaño traite de la "littérature nazie" pourrait paraître erroné, dans la mesure où les œuvres de certains des auteurs qui y sont présentés, d'après les informations qui nous communiquées, abordent des thèmes sans relation aucune avec leurs tendances politiques. Par ailleurs, les idéaux fascistes, la sympathie éprouvée par d'autres pour un Hitler ou un Mussolini, ne sont souvent évoqués que de manière anecdotique, comme des caractéristiques pittoresques et un peu ridicules de la personnalité des auteurs.
Les biographies de "La littérature nazie en Amérique" se présentent comme de froids recensements composés d'éléments factuels sur la vie et l'oeuvre des auteurs, ne comportent ni jugement ni condamnation sur leurs accointances politiques. Et même quand certains d'entre eux sont passés des idéaux aux actes, en participant par exemple aux escadrons de la mort argentins ou en s’engageant dans l'armée franquiste, c'est présenté, à l'instar de ensemble, de manière neutre.
Le lecteur pourrait s'y laisser prendre : voilà donc ces fameux auteurs nazis ? Exception faite de ceux qui, comme évoqué précédemment, ont "fait" le mal, et ne sont pas contenté de le penser ou de l'écrire, ils ne semblent ni dangereux ni vraiment mauvais. Des individus comme les autres et a fortiori comme nous, auxquels nous pourrions éventuellement reprocher nos divergences d'opinions... D'ailleurs, certains d'entre eux ont été très proches de personnalités d'extrême gauche... et voyez cet écrivain qui fit partie du Ku Klux Klan, il avait aussi des amis noirs...
Et c'est bien là le génie de la démonstration de Roberto Bolaño, qui, mine de rien, fait ainsi passer son message : en faisant de presque tous ces auteurs des individus ordinaires, il signifie que la barbarie est une possibilité enfouie en chaque homme (ou femme), et rappelle surtout qu'on ne doit transiger avec aucune forme de nazisme, de fascisme, quelles qu'en soient les manifestations, évidentes ou allusives, actes ou pensées. Démonstration, mais aussi critique féroce d'une société incapable de s'émouvoir, de se révolter face aux dites manifestations. Ce qui nous amène à une autre problématique, également soulevée ici : faut-il dissocier l'écrivain de son oeuvre, ou bien doit-on, au nom des idéaux qu'il défend, le condamner à la censure, ou tout au moins à l'opprobre ?
Le choix de Bolaño semble se porter sur la deuxième proposition. Existe-t-il une juste réponse à cette question ? "La littérature nazie en Amérique" a en tous cas le mérite de nous engager dans une réflexion non seulement sur ce point, mais aussi sur la vigilance qui est de la responsabilité de chacun d'entre nous, quant à la propagation des idéologies fascisantes.
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