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[Le voyage imaginaire - Schwambrania | Leo Cassil]
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apo



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Posté: Lun 27 Juil 2015 13:33
MessageSujet du message: [Le voyage imaginaire - Schwambrania | Leo Cassil]
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Eurêka ! J'ai découvert quelqu'un d'autre qui a passé plusieurs années de son enfance à créer un pays imaginaire, doté d'Histoire, d'institutions, de héros aux noms pompeux de remèdes pharmaceutiques, de sa Reine séquestrée afin qu'elle garde le secret dans une grotte de coquillages que les Rouges transformeront en cendrier, de billets de banque, cartes de géographie, grand écusson avec blason - "cet emblème [qui] avait été la glande endocrine de la sécrétion enfantine du rêve, comme aurait dit papa." (p. 237)
Mais le jeune inventeur de la Schwambranie, pays du continent de la Grande Molaire dont la découverte est encore confidentielle, eut un douteux avantage sur le petit garçon que j'ai été : celui de concevoir son utopie en pleine Révolution bolchevique. Alors que son frère cadet et lui, depuis leur ville de province sur la Volga, étaient frappés par les échos de la guerre, les relents de l'antisémitisme, les ravages du typhus, de la famine et du froid, la mobilisation de leur père médecin, les déménagements forcés avec leur mère professeure de piano et leurs tantes nostalgiques de l'ancien régime, les deux enfants vivaient les transformations de leur monde et de leur école par le truchement du kaléidoscope de leur âge, tout en élaborant le récit oral de leur pays imaginaire qui ne leur paraissait guère plus irréel que l'utopie que les adultes de leur entourage s'attelaient à fabriquer. Pour preuve, le personnage pathétique et adorable du professeur d'Histoire, Kirikov, qui appelait ses élèves par les doux noms de Troglodytes (les lycéens) et d'Anthropomorphes (les primaires), et qui se reconnut comme un Schwambranien de marque lorsqu'on le découvrit dans les sous-sols d'une bâtisse cossue abandonnée, en train de distiller de "l'élixir du bonheur", comme un vrai alphysicien... (ou alchimiste selon les grandes personnes).

Littérature jeunesse ? Peut-être en URSS, au gré des péripéties des purges et de la déstalinisation qui virent cet ouvrage - découvert pour les Français par André Malraux qui le fit traduire à la femme de Paul Nizan, publié avec enthousiasme par Gaston Gallimard en 1937, adoré par Aragon et par Guy Debord - tour à tour interdit, censuré dans de nombreuses parties, puis "best-sellerisé" à l'instar d'un Peter Pan soviétique...
Mais actuellement, pour un lecteur adulte qui accepte de ne pas s'obnubiler à déceler le "véritable" jugement de l'auteur sur le régime soviétique (un jugement qui a d'ailleurs sans doute changé au fil des années), il est question surtout d'une prose d'une originalité intrigante, toute surréaliste, truffé de jeux de mots (les mots-valises du petit frère Osska), d'images inattendues et parfois d'un intense lyrisme. La mise en page originale et les illustrations ne détonnent pas.

"Le typhus exanthématique se balançait d'une rue à l'autre, à la cadence du pas mesuré des infirmiers et des fossoyeurs. Le typhus était bruyant dans la fièvre des délires et muet dans les processions funèbres. [...]
La Schwambranie s'agitait à la recherche d'une vérité stable, changeant de gouvernants, de climats et de latitudes.
Et seule notre maison restait inébranlablement ancrée à la même latitude, à l'ancienne longitude. Elle se couvrait de rouille, s'enfonçait dans la vase, ce n'était déjà plus un navire, mais une lourde péniche échouée, devenue îlot. Les tempêtes ne pouvaient la pénétrer, car maman, craignant les courants d'air, fermait les fenêtres et les impostes.
Mais, cela va sans dire, certains changements avaient néanmoins eu lieu. Papa, par exemple, portait une tunique au lieu d'un veston. Une petite croix rouge à la boutonnière indiquait qu'il était médecin militaire. [...] Ensuite, les gens-que-l'on-ne-fréquente-pas, qui ne connaissaient auparavant que l'escalier de service, entraient tous maintenant, comme s'étant entendus à l'avance, par l'escalier de la rue. Même le porteur d'eau, pour lequel, semblait-il, il aurait été plus commode de passer par la cuisine, sonnait avec insistance à la porte de la rue. Il piétinait dans l'appartement, laissant des traces d'eau sur les meubles et par terre. Et ses seaux étaient pleins de dignité." (p. 160)

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