Les éditions Le Bruit du temps [en référence à Ossip Mandelstam] dirigées par Antoine Jaccottet travaillent sur des œuvres qui durent, qu’elles viennent du passé ou qu’elles s’ancrent dans le présent. Jean-Luc Sarré s’inscrit naturellement dans ce catalogue exigeant. Le poète aujourd’hui âgé de 70 ans donne à lire son journal, limpide et profond comme si les menus évènements du quotidien avaient été filtrés avec la patience d’une mulette perlière, bivalve aujourd’hui anéanti par toutes les exploitations et pollutions intensives. Si Jules Renard et son Journal (1887-1910) servent de tremplin initial pour l’élan et l’envie, Jean-Luc Sarré parle sa propre langue, fluide, concise, claire. Ses courtes remarques et observations sont serties de multiples et discrètes références picturales, musicales, littéraires. L’homme ne donne pas de leçon, ne sert aucune morale mais à sa manière dilettante, se dessine en creux et se donne à voir sous la lumière grise d’une mélancolie souriante. Si son regard acéré sur ses contemporains fait mouche et fait parfois mal : « Ils ne font qu’expier, pour la plupart, dans l’agacement et l’exaspération, leur caprice ou celui de leur progéniture, sans plus », il n’est pas exempt de compassion : « Le jeune trisomique « léger » qui revient d’un bon pas de la boulangerie est la seule personne authentique à cet instant dans le parc ». Aucune phrase n’est anodine. Chantournée, elle est durable en bouche : « Ces figues bleues, pruineuses, dans leur panier en osier, avant d’être des fruits sont pour moi un pastel » et le lecteur séduit, déguste sans faim.
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