Si le titre du récit de Rudolf Vrba sonne comme une délivrance, le premier chapitre plonge immédiatement dans l’enfer du camp d’extermination nazi et les issues semblent toutes condamnées. Heinrich Himmler vient en visite et tout doit être propret. L’orchestre juif est en place. Les détenus sont alignés au cordeau. La venue est imminente, l’attente insupportable, la tension exacerbée. Parce qu’il va manquer trois boutons à la veste de Yankel Meisel, son ignoble chef de block va le battre à mort mais il faudra l’intervention d’un officier SS pour mettre fin à l’agonie du vieil homme. Puis vient le ponte nazi dont l’aspect rappelle à Rudolf Vrba, planté aux « premières loges », « un très ordinaire maître d’école ». Sous leurs airs policés et les bonnes manières, les fauves sont lâchés. L’extermination de masse des hommes est en marche. Le zélé Rudolf Hoess va travailler à optimiser l’industrie de la mort. Lors d’une visite ultérieure, Himmler se montrera satisfait, lorgnant avec délectation par le judas des chambres à gaz l’asphyxie des hommes, femmes, enfants, bébés entassés. Haletant, le lecteur enchaîne le deuxième chapitre et effectue un retour en arrière dans la vie de Rudolf Vrba, jeune juif slovaque cherchant à fuir son pays pour rejoindre l’armée tchèque en Angleterre.
Mémoires de Rudolf Vrba, survivant de la machine de mort nazie, mis en forme par Alan Bestic, ils apportent un témoignage stupéfiant et incroyable à tel point que le rapport précis et détaillé qu’il rédigera en juin 1944 dès son évasion réussie en duo avec Alfred Wetzler, ne sera pas pris en compte par les autorités juives hongroises. Les Alliés prévenus ensuite n’interviendront pas davantage ne serait-ce qu’en bombardant les sinistres voies ferrées qui acheminaient des millions d’êtres humains vers l’abattoir : « Arbeit Macht Frei ». Si Alan Bestic filtre les propos de Rudi V[e]rba en les agençant dans une dramaturgie romanesque efficace, alors même que la traduction française laisse parfois à désirer, le lecteur ne peut pas lâcher le livre tant la tension est grande et constante. Curieusement, aucun cauchemar ne vient hanter l’esprit du lecteur comme si le souffle vital (et l’humour noir) qui animent des grandes âmes parmi quelques prisonniers, de rares kapos et un SS, arrivait à contenir l’effroyable barbarie humaine et son cortège de bassesses. Dits simplement par le capitaine cosaque Gorki Cholokhov détenu à Auschwitz : « Ne fais confiance à personne… N’aie pas peur des Allemands… Sois invisible… Vis, vole, évite les gens… Voyage avec trois fois rien (couteau, allumettes, sel, montre) », Rudi en fera son credo et réussira à franchir les cercles de l’enfer de son épicentre vers la lumière. Rudolf Vrba est un immortel selon les dires de Claude Lanzmann lorsqu’il lui rend hommage en 2006 à sa mort. Vrba parlait « magnifiquement, sans pathos ni apitoiement mais avec une précision clinique, une causticité ravageuse et, quand il le faut, la plus grande humanité ».
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