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[Les ressorts de la violence. Peur de l'autre ou peur du...]
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le_regent



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Posté: Dim 17 Aoû 2014 19:00
MessageSujet du message: [Les ressorts de la violence. Peur de l'autre ou peur du...]
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[Les ressorts de la violence. Peur de l'autre ou peur du semblable? | Russell Jacoby]

Les ressorts de la violence. Peur de l'autre ou peur du semblable ? (Bloodlust. On the Roots of Violence from Cain and Abel to the Present)/ Russel Jacoby, traduit de l'américain par Karine Reignier-Guerre, préface de Jean-Claude Guillebaud. – Paris : Editions Belfond, 2014 pour la traduction française (copyright Russel Jacoby 2011, New York : Free Press, Simon & Schuster Inc.) – 290 p. – ISBN 978-2-7144-5135-4. – Coll. L'esprit d'ouverture

Russell Jacoby est professeur d'histoire à l'UCLA (University of California Los Angeles). Il semble que le seul autre ouvrage de lui traduit en français soit "Otto Fenichel, destins de la gauche freudienne" (PUF, 1986, coll. Bibliothèque de psychanalyse).
Dans ses remerciements, l'auteur note : « Depuis trente ans, mon cercle de premiers lecteurs ne s'est guère élargi » ; et il ajoute : « Mes remerciements vont également à Hilary Redmon, mon éditrice chez Free Press, pour avoir accepté mon projet après que de nombreuses maisons d'édition (leurs noms sont disponibles sur demande) l'ont refusé. » Dans le même ordre d'idées, je note que la traduction française de son ouvrage s'est faite cette fois dans une collection qui ne m'était pas connue, dont les autres titres me donnent à penser qu'elle est plutôt consacrée à des ouvrages sur l'épanouissement personnel et la spiritualité.
A deux reprises, l'auteur évoque brièvement l'ouvrage « Le choc des civilisations » (qui attend son tour dans mon fatras à lire). Il n'en fait pas la réfutation méthodique, mais il semble qu'il en prenne le contre-pied. « Mon objectif est de rassembler ici des faits et des réflexions afin de mettre à nu les racines fratricides de la violence », écrit-il.
Il va ainsi accumuler un certain nombre de faits relatifs aux violences entre catholiques et protestants (ainsi qu'entre protestants), aux pratiques respectives des indigènes et des conquérants du Nouveau Monde, aux violences contre les juifs qui accompagnaient souvent les départs en croisade, à la croisade contre les Cathares, à la Première Guerre mondiale, à la seconde guerre des Balkans (entre les peuples qui avaient triomphé ensemble des Ottomans lors de la première guerre des Balkans), à la guerre civile en Russie, aux violences nazies contre les juifs, etc. Mais j'ai été déconcerté qu'il semble traiter de la même façon des événements historiques, les mythes de Cain et d'Abel, d'Oedipe, de Romulus et de Remus, des nouvelles d'Italo Calvino et de Leonardo Sciascia.
Comme annoncé, aux faits s'ajoutent des réflexions de Jean de Léry, Montaigne, Sébastien Castellion, Hugo Grotius, Thomas More, Stefan Zweig, etc. Faits et réflexions illustrent (plus qu'ils ne démontrent) les deux thèses énoncées dans l'avant-propos : « Aujourd'hui comme hier, la forme de violence la plus répandue oppose des communautés voisines ou parentes au sein d'un même pays. Les guerres civiles l'emportent sur les conflits internationaux » et « Les guerres civiles sont généralement plus cruelles que les guerres entre nations, et leurs conséquences se font sentir plus longtemps après le retour à la paix. »
Le dernier chapitre, d'aspect plus théorique, revient sur un concept de Freud présenté dès l'avant-propos, le concept de « naricissisme des petites différences », que Russell Jacoby voit, avec le complexe de castration, comme le moteur à la fois des haines et violences fratricides et de la misogynie. Il pointe pourtant la limite de la psychanalyse : « La psychanalyse parvient à expliquer la guerre et la haine d'un point de vue général, mais elle se tait dès lors que les conflits et les inimitiés se précisent sur la carte du monde. »
Russell Jacoby s'appuie donc ensuite sur les idées développées par René Girard, Français qui a vécu et enseigné aux Etats-Unis pendant la majeure partie de sa vie. Pour Girard, la croyance selon laquelle les discordes surgiraient des différences n'est qu'un préjugé ; l'anthropologie et la littérature témoignent du contraire : « Ce ne sont pas les différences, mais leur perte qui entraîne la rivalité démente, la lutte à outrance entre les hommes d'une même famille ou d'une même société. » Nos désirs individuels se nourrissent, par imitation, des désirs de ceux qui nous entourent. Pour Girard, Freud s'est trompé. Le fils ne désire pas la mère : il imite le père et désire ce que le père désire. D'où le concept de « désir mimétique ». En ce qui concerne le monde actuel, « l'image qui surgit – et vient remplacer l'image slogan du « choc des civilisations » invoquée par ceux qui ne comprennent pas l'état du monde – est celle d'une unique civilisation mondiale en état de guerre civile ».
Revenant à la misogynie, Russell Jacoby se demande : « Est-ce la crainte de l'effémination, et plus généralement de la perte d'identité qui pousse les hommes à s'entretuer ? » Et il s'interroge : « Et les femmes, où sont-elles dans tout cela ? » Après avoir évoqué le rapt des Sabines par les Romains, il finit son livre par : « Les suppliques des Sabines sont parvenues jusqu'à nous. Ecoutons-les. Car elles ont sans doute beaucoup à nous apprendre. »
J'avoue que cette lecture m'a laissé perplexe tant les idées agitées me paraissent dénuées d'implications pratiques. Y a-t-il quoi que ce soit à faire maintenant en Irak pour établir la paix entre sunnites, chiites et kurdes ? au Rwanda pour que le gouvernement des Tutsis n'attise pas encore la rancune des Hutus jusqu'à ce que ceux-ci n'entreprennent de nouveau de massacrer les Tutsis, ou jusqu'à ce que les Tutsis n'entreprennent de massacrer préventivement les Hutus, comme les deux choses sont déjà arrivées dans le passé ? En fin de compte, une lecture un peu décevante.

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apo



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Posté: Lun 18 Aoû 2014 12:30
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Bonjour Le Régent,
Je comprends que la lecture puisse t'avoir déçu sur le plan pragmatique, mais l'idée en soi n'est pas dépourvue d'attrait. Elle serait même plutôt bonne à expliquer à nos concepteurs de diplomatie, ignares et va-t-en-guerre, qui ne lisent plus Clausewitz ni même Kissinger !
Si la violence surgit d'une hantise identitaire, l'identité se fonde souvent sur la distinction par rapport au "presque identique", celle avec l' "absolument autre" étant hors de propos.
La critique de Freud par Girard me semble très intéressante, et en particulier les conséquences sur la misogynie et le machisme correspondent entièrement à mes propres suppositions.
Si l'on parcourt l'actualité conflictuelle d'aujourd'hui : Ukraine, Syrie, Irak, Palestine, et Rwanda -puisque tu l'évoques-, tous ces conflits semblent donner raison à Jacoby et enterrer à tout jamais le délire de Huntington...
J'ai cependant quelques grosses réserves historiques : comment explique-t-il les massacres colonialistes (américains, africains et asiatiques) et la traite négrière, deux cas de violence "substantiellement" justifiée par l'altérité ?
Et que diable viennent faire Italo Calvino et Leonardo Sciascia là dedans ?!
Merci et bonne semaine.
_________________
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Auteur    Message
le_regent



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Posté: Lun 08 Sep 2014 18:25
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Bonjour Apo

Il m'a fallu laisser passer un peu de temps avant de revenir à cette note de lecture et à ton commentaire, tant il me semblait être, par rapport à ce livre, comme une poule qui aurait trouvé un couteau. En fait, je n'arrivais pas à bien cerner ce qui « clochait » dans cet ouvrage. J'ai donc fait à l'auteur le reproche de ne pas fournir d'instrument de pacification alors qu'il indiquait clairement : « Je ne propose en aucun cas une théorie universelle de la violence, et ne cherche pas à présenter des solutions. »
J'aurais eu meilleur droit à lui reprocher un certain manque d'originalité : qui, écrivant pour dénoncer le recours aux armes et ses conséquences, n'a pas souligné qu'aussi différent soit-il de nous, c'est notre « semblable » que nous mettons à mort, comme l'indique si bien la langue française, et que nous nous montrons donc fratricide ?
J'aurais dû encore lui reprocher de proposer l'explication d'un phénomène social par des considérations de psychologie interindividuelle (le même reproche s'applique aussi à ceux qui expliquent les conflits guerriers par l'incapacité à supporter l'altérité). Ce défaut n'en est pas un pour le préfacier, Jean-Claude Guillebaud, qui écrit : « Dès lors qu'on y regarde d'un peu plus près, la violence n'est pas vraiment extérieure aux hommes comme pourrait l'être un phénomène social ou politique. Elle vient du dedans et y retourne, sans cesse, s'y dissimuler. » Et même : « […] la violence […] est […] une question plus spirituelle que politique. » Formulée ainsi, c'est une opinion que je ne partage pas.
L'auteur délimite ainsi le champ de son étude : « Dans le présent ouvrage, il ne sera question ni de Darwin, ni d'A.D.N. Le facteur biologique joue sans doute un rôle dans la violence (ne joue-t-il pas un rôle dans tout ce qui nous entoure?) mais ce n'est pas ce qui m'occupe […] Dans les pages qui suivent, il ne sera pas question de la violence domestique ni des agressions criminelles dont la dimension fratricide est évidente. » Personnellement, je réserverais aussi le cas des violences commises en réunion, mais inorganisées, relevant du mouvement de foule, dont un exemple est si bien décrit par Jean Teulé dans « Mangez-le si vous voulez » (encore qu'il n'y ait pas de saut "quantique" entre ces différents phénomènes). Ce qu'il reste, c'est bien précisément le domaine des violences socio-politiques, me semble-t-il. J'attends donc que l'on me parle des conditions socio-politiques qui amènent le recours aux armes, pour lequel il ne me semble pas devoir supposer une différence essentielle entre la guerre, étrangère ou civile, le génocide et certaines formes de répression.
Mon dernier reproche aurait dû être le niveau de généralisation, excessif selon moi, des considérations de l'auteur. Je conçois bien tout ce qu'apporte un certain degré de généralisation, quoiqu'en histoire, tout au moins, je trouve les variables de temps et de lieu aussi instructives que les invariants anthropologiques. Mais si l'on généralise trop, d'une part on risque de plus en plus qu'il se trouve des exceptions à ce que l'on affirme, d'autre part, on risque de finir par n'affirmer que des banalités. Je ne me sentais pas capable de proposer une thèse plus pertinente (et plus clairement identifiable) que celle de l'auteur. Cette fois je vais prendre le risque de me ridiculiser (mais si « plaie d'argent n'est pas mortelle », plaie d'amour-propre l'est encore bien moins). La seule affirmation très générale que je puisse approuver serait la suivante: le recours aux armes d'un groupe humain plus ou moins organisé contre un autre (ou d'autres) groupe(s) humain(s) armé(s) ou non, organisé(s) ou non, plus ou moins réel(s), a pour enjeu l'exercice de certains « pouvoirs », y compris celui d'anéantir cet (ces) autre(s) groupe(s) humain(s). Est-ce qu'une grille d'observation aussi grossière peut apporter quelque chose à l'étude de tel ou tel épisode violent concret ? Je n'en jurerais pas.
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