[Tonnerre de bulles ! 4, Guarnido ; Hausman | Yannick Bonnant]
La 4e livraison du fanzine Tonnerre de bulles ! paru en janvier 2014 apporte son nouveau lot de portraits d’artistes du 9e art. René Hausman, l’illustrateur inspiré des bestiaires et des fables, répond sans ambages aux questions faiblement excitantes de Nathalie Troquette, sa jeune épouse. On en apprend assez peu sur un dessinateur d’envergure, né en 1936, à Verviers, en Belgique et toujours fécond. Ses intérêts pour le théâtre et la musique traditionnelle wallonne sont brièvement évoqués, ses sources d’inspiration à peine effleurées, Félix Lorioux, Beuville et Jobbé-Duval. L’article suivant rend hommage à Bruno Le Floc’h, dessinateur breton, né en 1957, décédé le samedi 6 octobre 2012. D’abord storyboarder dans le dessin animé, il entre tardivement en bédé avec un album abouti et hautement apprécié, Trois éclats blancs, relatant la construction à l’extrémité de la chaussée de Sein du phare mythique d’Ar-Men, le rocher en proie aux déferlantes atlantiques. Artiste attaché à son Pays Bigouden, il apprécie des peintres du cru ou influencé par l’Armor tel Mathurin Méheut, Jean Julien Lemordant ou Lucien Simon, Parisien devenu le « peintre du Pays Bigouden », enterré à Combrit, dans le Finistère. Exigeant, Le Floc’h ne tergiverse pas avec l’art. La technique seule n’est rien sans l’œuvre habitée par l’artiste. Son musée imaginaire est riche d’enseignements et de rencontres, Piet Mondrian, Hans Bellmer, François Dilasser, le « seul peintre avec Rembrandt » à l’avoir touché aux larmes mais aussi Stravinsky, Borodine, Bach, Tom Waits, l’abbatiale de Conques, Joseph Conrad, Jean-Pierre Abraham, écrivain et gardien du phare d’Ar-Men [au chirurgien l’opérant d’un cancer de la vessie, il lui demande s’il peut lui implanter une lanterne à la place], Francisco Coloane, l’écrivain des terres australes, Norman Mac Laren, réalisateur canadien de films d’animation, Stanley Kubrick, Frederico Fellini, etc. Il y a beaucoup à glaner dans un univers aussi riche et cohérent, largement encré dans la mer. Le 3e auteur interviewé est Jim, [Thierry Terrasson], « pseudo crétin » selon lui, très apprécié pour son dytique Une nuit à Rome, « plus de 200 pages en deux volumes ». Son regard porté sur le petit monde de la bédé est pertinent. Infichu de répondre à la question bêtasse de sa BD de chevet, Jim propose tout de même au débotté Le Journal de Fabrice Neaud : « J’ai adoré son travail, son ton, la justesse du trait comme de la pensée ». Eclectique et attachant, l’auteur, scénariste, dessinateur, réalisateur reste engageant et donne envie de le découvrir.
Tête-bêche, on peut partir à la rencontre de Juanjo Guarnido, né à Salobreňa, en Andalousie, dessinateur apprécié de Blacksad, série scénarisée par Juan Dias Canales. Il répond aimablement à la batterie de questions. Marqué par l’univers de Walt Disney, Guarnido intègre l’écurie des studios Disney à Montreuil, travaillant sur le personnage de la panthère dans le film d’animation de Tarzan ou encore sur Hadès dans le film d’Hercule. Il y rencontre le couple Theresa et Juan Dias Canales, les futurs scénaristes respectivement de Sorcelleries (3 volumes) et de Blacksad (5 albums) séries sur lesquelles Guarnido va développer son talent de dessinateur. A la suite, le lecteur découvre le personnage de Fenice évoluant dans un monde cyberpunk imaginé par Virginio Vona puis scénarisé par Iah-hel. Deux albums sont parus en autoédition. Une telle bédé personnelle et exigeante, inspirée par la Divine comédie de Dante peut paraître rebutante avec son graphisme échevelé qui « vibre et s’interprète, il vit » et son propos sombre : « […] dresser le portrait de la nature humaine, de son côté bad dans toute sa réalité ». Enfin, la parole est donnée à Serge Diantantu, dessinateur né au Congo belge, au départ menuisier ébéniste, auteur et auto-éditeur de La Petite Djily.
Les trois ex-libris qui accompagnent le fanzine sont signés Hausman, Vona et Diantantu et ils ne valent par tripette alors que Guarnido, Le Floc’h ou Jim auraient pu rehausser le niveau. Le fanzine, avec toutes ses imperfections, reste toujours un agréable moment de lecture car il propose des regards vivants sur des dessinateurs connus, méconnus, voire inconnus. Les multiples illustrations qui parsèment les interviews, même en noir et blanc et en petit format, rendent compte du potentiel d’une œuvre graphique.
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