[Résistances. 4, Le prix du sang et des larmes | Jean-Christophe Derrien ; Claude Plumail]
Le dernier opus clôt magistralement la série et lui confère une toute autre dimension, la satellisant avec les œuvres marquantes, hors du temps et des modes, classiques, au sens noble du terme. Si le scénariste aurait pu s’inspirer du bouleversant roman de Pierre Boulle, « Un métier de seigneur », auteur français trop méconnu dans l’hexagone, lui-même influencé par le génial écrivain polonais Joseph Conrad pour qui l’homme a droit à une deuxième chance, un possible rachat par des actes héroïques, à la suite d’une lâcheté innommable, le récit proposé par Jean-Christophe Derrien est totalement maîtrisé et complètement original. Nombre des personnages de la bédé possèdent une grandeur d’âme, une ligne de conduite intérieure à laquelle ils ne dérogent pas mais l’histoire les malmènent, les entraînant du bon ou du mauvais côté de la barrière selon les circonstances du moment.
Comme à son habitude, le scénariste bouscule la chronologie. Le 4e volume commence par la fin de la Seconde Guerre mondiale, en novembre 1944. Dans le village natal d’André Messager, l’instituteur harangue les habitants pour leur dresser un édifiant portrait du jeune homme « assassiné lâchement » à la Libération de Paris. Dans la foule à l’écoute lors de la commémoration se trouve le meurtrier d’André, Louis, l’amant de Sonia, alias Marianne, elle-même ancienne compagne d’André qui l’aurait donnée aux Allemands. Puis le récit revient en décembre 1942, à Lyon. Sonia est incarcérée au fort de Montluc. Louis va soudoyer un des gardiens mais en se rendant sur place afin de délivrer Sonia, il tombe dans un traquenard. Emprisonné à son tour, torturé, tabassé, Louis est transporté en forêt par les Allemands mais un commando de maquisards mené par André le délivre de ses tortionnaires. Louis les abat de sang-froid. La nuit, il s’enfuit du maquis et retourne sur Lyon où un mot de Sonia l’attend : « Mon amour… On nous parle d’un transfert pour Ravensbrück… Je suis enceinte ». Louis est ahuri et furieux. Il doit tout tenter pour délivrer Sonia d’une mort programmée. Il retrouve Pierre, une ancienne relation, un combinard de première classe en cheville avec les Allemands. Pourtant, il a dû être lui aussi interrogé par les « nouvelles autorités locales » et alors qu’il a été laissé seul dans le bureau « à méditer sur ses abjects agissements », après un « entretien assez glacial », il découvre par la fenêtre un homme en passe d’être exécuté mais qui s’écrie, face à sa mort imminente : « Ne tirez pas ! Ne tirez pas ! Marianne… Je sais qui est Marianne ! » A main levée, Pierre dresse le portrait du donneur de Marianne, résistante activiste recherchée par la police lyonnaise et les Allemands. Stupéfait, Louis reconnaît André. Dès lors, les jeux sont presque faits d’autant que Louis reçoit un message d’André, signé « Un patriote », lui précisant l’endroit « où le traître André Messager » se trouvera à Paris, le 26 août 1944. André a donc donné rendez-vous à Louis, son exécuteur testamentaire. Tout pourrait être relativement simple hormis le fait qu’André n’a cessé de penser tout ce temps à Sonia, regrettant amèrement une lâcheté qui le diminue et il a pris des risques avec les résistants, accomplissant coup sur coup des actes héroïques et salutaires. La série se termine tragiquement mais aussi magnifiquement. « Résistances » est une grande et belle œuvre, parabole de la grandeur et de la petitesse dérisoires des hommes.
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