Une pie espionne (pour ne pas dire épie) le Martin-pêcheur et tient un journal relatant les faits et gestes du volatile. Les bonnes feuilles paraissent dans La Hulotte, canard spécialisé en l’espèce. De nature séduite par tout ce qui brille, la pie ne peut que s’extasier face à la beauté du Martin-pêcheur nanti de pattes rouge vif et d’un plumage bleu saphir : « […] ses plumes ne contiennent même pas de pigment bleu : elles se contentent de décomposer la lumière. Selon l’incidence des rayons du soleil ou l’angle sous lequel on le regarde, son plumage peut paraître bleu turquoise, indigo, vert émeraude : une pure merveille ! ». Le corvidé loquace détaille la technique de pêche du Martin qui, depuis un perchoir approprié, repère un poisson de la taille idoine, entre deux et dix centimètres, calcule instantanément la trajectoire de sa plongée selon la profondeur, jamais supérieure à un mètre et la réfraction lumineuse qui décale la vision. Sous l’eau, une membrane recouvre son œil afin de le protéger. Le Martin continue sur sa lancée, à l’aveuglette mais il manque rarement sa cible. L’air dans son plumage le ramène rapidement et sans effort à la surface. Le poisson en bec, le Martin l’assomme en le cognant à coups redoublés contre son perchoir. Jaloux de son territoire, l’oiseau bleu se radoucit à l’approche du printemps et accepte les allées et venues d’une belle intruse parée de saphir et de turquoise. Il va même jusqu’à lui montrer ses coins de pêche afin de la rassurer quant aux ressources halieutiques de son bout de rivière. Ils pourront élever leurs petits qui ne manqueront de rien. Le choix du terrier est crucial pour la suite des opérations. Il doit être creusé dans une berge à la fois meuble et solide, en léger surplomb au-dessus de l’eau, à bonne hauteur afin d’éviter les crues, les incursions des prédateurs notamment les mustélidés ou l’excavation faite par les blaireaux friands des couvées. Si le terrier se trouve éloigné de la rivière, les allers-retours demandent une énergie supplémentaire parfois considérable aux parents. Certains Martin contraints par le terrain peuvent effectuer jusqu’à quatre cents kilomètres par jour. En deux petites semaines, un tunnel de 75 cm tout en longueur et en légère pente est disponible avec une chambre exiguë pour recevoir les sept œufs dont la blancheur les rend bien visibles dans l’obscurité du terrier. Les oisillons sont tenus au chaud entre eux et sous le plumage des parents. Passés l’âge de onze jours, ils deviennent thermo régulés. Ils sont nourris avec des alevins présentés tête la première afin que les nageoires soient dans le bon sens et ne les étouffent pas. La pyramide d’oisillons agglomérés présente un seul béjaune à la fois face à l’entrée. Quasi aveugle, la lumière au bout du tunnel l’attire et lui indique dans quelle direction il doit projeter sa fiente, dans la pente, vers l’extérieur. En même temps, dès qu’il a reçu sa provende, il se décale dans un mouvement naturel de tourniquet et laisse la place au suivant sur le manège. Un mois plus tard, la femelle quitte mystérieusement le nid. Seul le mâle continue d’assurer la surveillance et la subsistance de ses poussins.
Une nouvelle fois, Pierre Déom, le magicien de la plume et des pinceaux, éblouit son lectorat avec l’histoire naturelle du Martin-pêcheur contée par une pie bavarde, double de lui-même, en toute modestie. Tels la souris, la coccinelle ou le pou de pubis de Gotlib, la pie accompagne avec humour les illustrations du Martin. Historiette dans l’histoire, la pie a son mot à dire et sa présence à exhiber pour le plus grand bonheur du lecteur. On est séduit par le beauté de l’oiseau et ses capacités d’adaptation. Une foultitude d’informations savamment distillées enrichissent le journal de la pie et renseignent au mieux le lecteur sur les mœurs d’un oiseau des rivières, somme toute secret, flèche bleue lancée dans les étés aveuglants de nos enfances enfuies.
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