Les écrivains marcheurs sont à la mode. Récemment nous avons eu Jean-Christophe Ruffin qui a randonné sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle ; excellente idée qui lui a permis de faire quelques belles promos sur les radios nationales. Jean-Paul Kauffmann n'a pas choisi une voie si facile, ni si "sexy" ! Remonter la Marne .... quelle idée ! et pourtant ça marche ! il embarque le lecteur dans son sac à dos et nous arrivons ravis aux sources de la rivière en regrettant que son livre ne fasse que 260 pages. Dans la lignée de Jacques Lacarrière et de son mythique "Chemin faisant",Kauffmann prend son temps pour tâter les "trous du cul du monde" entre Charenton (94) et Joinville (52) comme d'autres allaient tâter le cul des vaches une fois l'an Porte de Versailles. Au risque du lieu commun c'est bien une plongée dans la "France profonde" que nous offre Kauffmann, journaliste honnête et pas du tout germanopratin même s'il ne peut s'empêcher parfois de nous faire le compte-rendu de la soirée qu'il vient de passer chez un(e) ami(e) cher(e),s'extasiant du champagne comme du cigare. On l'excusera bien vite connaissant le goût de l'impétrant pour ces deux vices .
Au fil de ses journées "pépères" de 10 kms (Lacarrière en faisait le triple), nous découvrons une France que nous connaissons tous ou , du moins pour les citadins invétérés , que nous soupçonnions tous. Une France fatiguée. Un pays au bout du rouleau. Villages de maisons aux volets clos comme frappés par une bombe à neutrons qui n'aurait laissé que les murs. Villes (Saint-Dizier ! ) à l'industrie sinistrée et aux commerces en berne,campagnes désertées par les hommes et les animaux mais vouée inexorablement à l'agriculture intensive,lieux improbables voués à la consommation de masse rivalisant de laideur (Lacarrière avait échappé de peu à cela). Plus l'auteur s'enfonce dans cette diagonale du désastre (bien connue des géographes ) plus le sentiment de remonter le temps est prégnant . Révélateur est sa traversée de la Haute-Marne. Un département qui fût pionnier en son temps dans le domaine de la sidérurgie et de la tréfilerie mais dont les usines sont maintenant fermées. Il se trouve que je connais bien ce département et je rejoins totalement Kauffmann dans son constat mais aussi, ce qui en étonnera certains peut-être, dans son optimisme. Car dans ce trou noir français (d'autres régions pourraient accompagner la Hte-Marne à ce titre, les Ardennes par exemple...), l'auteur a rencontré des gens. Des gens revenus de toute promesse politique et qui se sont réinventés de nouveaux liens sociaux délaissant le peu qui reste des institutions de la République puisque la République les a abandonné. C'est un des charmes de ce livre que ces rencontres informelles avec des citoyens lambda qui ne s'en laissent pas conter ; même si les paroles cueillies par Kauffmann me semblent parfois édulcorées (la bonne éducation de l'auteur ?).
Le livre est vraiment intéressant mais l'opinion que s'en fera le lecteur sera forcement en phase avec sa vision qu'il a du "paysage français" ; selon qu'il est un productiviste forcené, un doux écolo décroissant, ou un nouveau capitaliste adepte du green-washing et de l'"entertainement" comme le flamboyant maire de Chaumont (chef-lieu de la Hte-Marne). Pour moi, comme pour l'auteur de Remonter la Marne, ces paysages sont avant tout la quintessence du paysage français. De Gaulle ne s'y est pas trompé qui choisi Colombey à la limite de l'Aube et de la Hte-Marne face à la vieille forêt gauloise des Dhuits, pour se retirer en vieux sage méditatif.
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