Telle un leitmotiv, l'évocation de la couleur du ciel de Bay City ponctue le roman de Catherine Mavrikakis, plombant le récit de son omniprésence morne et accablante. Amy est née et a grandi sous ce ciel. Enfant des années soixante, elle est de cette génération "qui n'est bonne qu'à produire des présidents des États-Unis portés sur la voiture, le blow job, le mensonge, la sécurité et la guerre", qui offrira au sida et à l'excès de nourritures grasses leurs premières victimes. Et pourtant, l'Amérique est aussi le "pays illusoire où il est possible de croire en demain, malgré l'ignominie des temps". Mais l'optimisme, Amy, elle ne connaît pas. A l'image de ce ciel du Michigan qu'elle abhorre, c'est une enfant malingre, puis une adolescente vulgaire et détestable, qui n'éprouve aucune joie, aucun goût pour la vie.
Devenue adulte, elle reconstitue les souvenirs de cette jeunesse vaine et maussade : la maison de tôle où elle vivait en compagnie d'une mère qui ne souciait pas de dissimuler l'aversion qu'elle lui inspirait, d'une tante qui la considérait comme une sainte, du gentil Augusto, l'oncle éternellement nostalgique de son Brésil natal, et de ce crétin de cousin Victor ; les angoisses irraisonnées des deux femmes de la maison, qui les faisaient se réfugier dans le basement à la moindre annonce d'orage ; la piété bigote de sa tante et l'agnosticisme de sa mère ; la volonté farouche des deux femmes de cacher leurs origines juives, tout en ne cessant d'évoquer l'horreur des camps, où périrent la quasi totalité de leur famille...
Le souvenir, aussi, des visites hebdomadaires au cimetière pour fleurir la tombe de cette "salope" d'Angie, la soeur aînée qui avait, elle, eu la décence de mourir en couches, évitant ainsi de pourrir la vie de sa mère...
Le souvenir, enfin, des nuits infernales, hantées par la longue cohorte des morts familiaux et des autres, par le hurlement des victimes de l'holocauste...
L'esprit ainsi colonisé par les gazés d'Auschwitz, de Treblinka et d'ailleurs, Amy est aussi inapte à la vie qu'à la mort, comme si sa présence en ce monde n'avait qu'un seul but : celui de permettre aux juifs exterminés de faire entendre leur douleur, de perpétuer l'horreur de leur fin, imprégnant la jeune fille de l'évidence de l'impossibilité de tout amour, de la vanité de tout espoir.
Telle est l'existence d'Amy, traînant le jour son ennui dans l'Amérique kitsch de l'ultra consommation, vivant la nuit dans les transes des horreurs de l'Histoire.
"Le ciel de Bay City" est un roman profondément pessimiste, baigné d'une folie désespérée. Le lecteur est rapidement plongé dans l'ambiance pesante du récit, sa curiosité éveillée par la personnalité trouble de la narratrice. Malheureusement, mon intérêt s'est émoussé presque aussi vite. L'auteur ne maintient pas bien longtemps le rythme mordant qui nous happe d'emblée. Le texte souffre de répétitions (la récurrence de l'évocation, par l'héroïne, de la couleur du ciel, provoque une lassitude agacée) et manque parfois de subtilité. L'opposition, notamment, qu'Amy établit entre elle-même et sa fille Heaven -rien que ce prénom, déjà...-, si équilibrée, si pleine de joie de vivre, est trop manichéenne pour être crédible...
Dommage...
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