Comment un éleveur de vaches surendetté des Grandes Plaines américaines peut-il captiver un lectorat à cent coudées et à une distance sidérale des problématiques et des lieux ? Le mystère est total mais dès les premières lignes d’un journal de cow-boy idéaliste, le charme opère et l’ennui potentiel se sublime en un vif intérêt qui ne se relâchera jamais. Il n’y a pas que la vie d’un homme en balance dans le récit d’O’Brien. Le travail incertain qu’il entreprend va tenter de le réconcilier avec ses profondes convictions dans le respect d’une nature dégradée à comprendre, à respecter et à restaurer. Le lecteur sait tout de suite que l’enjeu dépasse les frontières du Dakota et pose des questions fondamentales. On suit donc l’entreprise d’un homme sensible et cultivé, connaisseur et amoureux des grands espaces qui ose se lancer dans l’élevage des bisons. Il lui faut tout apprendre, tout découvrir et ne pas se laisser abattre car les obstacles semblent parfois insurmontables à commencer par le pari de mettre ses dernières économies dans l’achat de bisons et de clôtures. Parallèlement, on découvre sa vie sentimentale sobrement évoquée mais poignante ainsi que son voisinage, humain et bouleversant : « […] je suis entouré de plusieurs millions d’hectares de terre et quand ma vie semble partir en lambeaux, je grimpe dans mon pick-up et je roule. […] Je pensais aux traites qu’il me faudrait rembourser en octobre et à la chute récente et inexplicable du prix de la viande qui allait réduire mes revenus de moitié. Je roulais trop vite et, en débouchant sur un talus poussiéreux, j’ai failli m’encastrer dans un énorme bison ». De cette rencontre accidentelle, O’Brien va en faire une découverte providentielle. Alors que la vache importée d’Europe est inapte au sol et au climat américains, le bison est ici chez lui. Il sait faire sourdre l’eau du sol en le piétinant. Son pelage exceptionnel lui permet de résister au blizzard et sa viande goûteuse est d’une saveur et d’une texture incomparables. Bien des choses justes sont dites dans ce livre superbe qui ouvre une voie salutaire dans le vaste monde endeuillé : « Je suis persuadé que la matrice se rétablit, que le cycle se restaure. Quand je m’agenouille et que je plonge la main à travers les boucles d’herbe… j’imagine les vibrations du sol sous les sabots. Je sens les bisons évoluer parmi ce tout et je comprends qu’ils sont éternels, aussi immuables que la roche, aussi puissants qu’un vent de prairie ». Un fois l’épilogue et la postface lus, le lecteur n’a plus qu’une envie, celle de plonger avec le faucon pèlerin dans les « Rites d’automne » du même auteur pris définitivement en sympathie.
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