Raoul Mille, écrivain niçois lauréat du Prix Interallié, ne savait pas, au moment où il l'écrivait que sa date de décès lui donnerait raison : l'obèse morbide ne décède pas forcément, sous nos latitudes, plus prématurément que quiconque.
De manière autobiographique, mais pas systématiquement sur ce fil directeur, l'auteur examine ce qui fait qu'on peut devenir gros et les pressions immédiates qui s'abattent sur le gros dès l'enfance : sociales, morales, médicales. Il est immédiatement stigmatisé : paresseux, intempérant, probablement sot, veule, sexuellement inapte et voué à des maladies fréquentes et une mort rapide. Les camarades de classe le harcèlent, les filles en font leur meilleur ami asexué, les médecins refont Toinette, non plus sur l'air du "poumon, le poumon, vous dis-je", mais "vous êtes trop gros", quelle que soit la raison qui vous amène (là, je m'inscris en faux : j'ai eu un généraliste qui m'a vue grossir de 15 kg en moins d'un an sans sourciller).
Bien entendu, le miroir tendu par autrui étant peu flatteur et nourrissant le besoin d'être accepté, approuvé, admiré peut-être, le gros va essayer de rentrer dans le rang et là, malheureusement, le seul remède qui lui soit proposé par la Faculté est le régime (le livre date, aujourd'hui, on lui proposerait aussi la chirurgie). Or, Mille s'insurge : n'est-ce pas un cas unique dans la médecine qu'on vous propose systématiquement une cure qui, statistiquement est vouée à 80% et plus d'échecs à moyen et long terme ? Les seuls autres cas sont de graves maladies où la mort étant à portée de la main, il est cohérent de proposer cette gageure. Mais le gros, insiste Raoul Mille, n'est pas en danger de mort immédiate, même dans les pires cas et dans ce cas, un régime n'y changerait rien ; d'où vient qu'on veuille à tout prix l'envoyer dans la direction non seulement d'un échec couru d'avance, mais d'une aggravation puisque les kilos repris s'accompagnent toujours d'un petit bonus ?
N'y a-t-il pas là, secrètement, le besoin de tourmenter gratuitement, de déranger le mode de vie qu'on désapprouve et la personne dont l'apparence nous déplaît sous prétexte de vouloir son bien (lequel bien est est loin d'être assuré) ?
Sur certains points, le propos date. Le mouvement de Size Acceptance est encore marginal, et selon moi le restera. Les personnes qui assument leur obésité (assumer ne veut pas dire se résigner) sont rares et les personnes qui pensent réellement que le gras n'est pas plus laid qu'une autre différence sont également rares. Sur d'autres, la nécessité de rester au poids où l'on est bien, où l'on peut vivre et s'accomplir et celle de proscrire les régimes, il est carrément précurseur, puisque c'est la tendance actuelle.
Certains passages, concernant la vie sexuelle, trop lyriques, interminablement rabelaisiens, m'ont lassée et j'ai préféré les intermèdes autobiographiques, plus sobres, ironiques, où le suspens est agréablement ménagé.
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