Coupé pendant soixante-douze heures de mes lectures en cours par l'oubli d'un cordon d'alimentation, j'ai choisi ce livre dans la bibliothèque de ma fille aînée. Il s'agit d'une initiation à la philosophie, destinée à la fois à « ...un adulte qui veut savoir ce que c'est que la philosophie mais n'envisage pas nécessairement d'aller plus loin... un adolescent qui souhaite éventuellement l'étudier plus à fond, mais ne dispose pas encore des connaissances nécessaires pour pouvoir commencer à lire par lui-même des auteurs difficiles... ». Je ne relève évidemment pas du second cas de figure et je ne devrais pas non plus relever du premier puisque mon bagage universitaire est justement le baccalauréat de philosophie ; mais la philosophie n'avait été pour moi qu'un patchwork de doctrines plus ou moins obscures, ne m'aidant pas, au contraire de ce que j'avais espéré, à me situer dans mon environnement. Je lui ai préféré les sciences naturelles et les sciences humaines, et si je reviens à Descartes aujourd'hui, ce n'est pas pour le « cogito ergo sum » mais pour connaître sa théorie des tourbillons.
Luc Ferry nous raconte donc l'histoire de la philosophie (il utilise aussi l'expression « histoire de la pensée »). Je note qu'à l'exception de quelques allusions au bouddhisme (qu'il n'aurait peut-être pas faites s'il n'avait par ailleurs écrit un livre en commun avec André Comte-Sponville, apparemment féru des sagesses de l'Orient), il s'agit exclusivement de l'histoire de la pensée européenne. Il me semble qu'il faudra bien un jour que notre culture générale incorpore l'histoire de la pensée dans les aires culturelles arabo-musulmane, indienne, chinoise, japonaise (liste non limitative) si nous aspirons à une culture dans laquelle tout humain pourrait se reconnaître (bien sûr c'est plus difficile que de multiplier les manifestations de repentance mais ce serait plus constructif).
L'auteur distingue trois dimensions de la philosophie : l'intelligence de ce qui est (théorie, mot dont il donne l'étymologie : « je vois, orao, le divin, theion »), la soif de justice (éthique), et la quête du salut (sagesse). Si ma mémoire est fidèle, mon manuel de philosophie se contentait de distinguer la pensée et l'action. Cette bipartition me conviendrait, mais il se peut que les trois dimensions de Luc Ferry soient pertinentes dans la perspective d'une présentation historique.
L'auteur expose les conceptions stoïciennes, puis chrétiennes (la philosophie proprement dite y devient une « scolastique », c'est-à-dire, au sens propre, une discipline scolaire et non plus une sagesse ou une discipline de vie). Il présente ensuite l'avènement de la philosophie moderne, l'humanisme, ainsi désigné parce que l'homme se retrouve face à lui-même, après que se soit volatilisé le Dieu du christianisme comme s'était auparavant volatilisé le Cosmos (harmonie divine du monde selon les Anciens). Il caractérise comme des « religions de salut terrestre » le scientisme, le patriotisme et le communisme. Il expose ensuite la critique de l'humanisme et du rationalisme menée par Nietzsche, dont la philosophie est donnée comme matérialiste dans la mesure ou elle rejette tous les « idéaux », baptisés idoles.
Le principal philosophe contemporain, pour Luc Ferry, est Heidegger, qui appelle « monde de la technique » l'univers dans lequel nous vivons aujourd'hui, où « contrairement aux Lumières et à la philosophie du XVIIIe siècle dont nous avons vu qu'elles visaient l'émancipation et le bonheur des hommes, la technique est bel et bien un processus définalisé, dépourvu de toute espèce d'objectif défini : à la limite, plus personne ne sait où nous mène le cours du monde car il est mécaniquement produit par la compétition et nullement dirigé par la volonté consciente des hommes regroupés collectivement autour d'un projet, au sein d'une société qui, au siècle dernier encore, pouvait s'appeler res publica, république : étymologiquement, " affaire " ou " cause commune " »
Luc Ferry voit donc deux directions possibles pour la philosophie contemporaine : une nouvelle scholastique, au sens propre du terme : une discipline scolaire à l'université et au lycée (le philosophe devenu en vérité professeur de philosophie) ; mais il est convaincu « que la philosophie peut et doit encore, à vrai dire même plus que jamais en raison du fond technicien dans lequel nous baignons, maintenir en vie l'interrogation, non seulement sur la theoria et la morale, mais bel et bien sur la question du salut, quitte à renouveler cette dernière de fond en comble ». Après avoir argumenté contre la philosophie matérialiste, il pose la question : « comment penser un humanisme qui soit enfin débarrassé des illusions métaphysiques qu'il charriait encore avec lui à l'origine, au moment de la naissance de la philosophie moderne ? » La trentaine de pages qui suit entreprend de répondre à cette question, mais je ne me sens pas capable de les résumer, non pas que je les trouve obscures, mais parce que je n'y vois pas une réponse assez structurée.
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