À l’instar de beaucoup de lecteurs, j’ai connu Atiq Rahimi grâce à
Syngué Sabour, prix Goncourt 2008 qui a joui d’un gros succès bien mérité. J’étais pour ma part charmé par le style, admiratif de l’idée narrative, intéressé par la synthèse multiculturelle propre à l’œuvre migrante, mais un peu déçu au fil des pages et surtout gêné par la chute – ces deux derniers points motivant une notation qui, a posteriori, me semble peut-être trop sévère. Récemment l’auteur – accompagné par Jean-Claude Carrière – a réalisé un film absolument superlatif tiré du même roman, porté par une superbe interprétation féminine [
il est encore en salle, et ce week-end c’est le printemps du cinéma, n’est-ce pas…], lequel a eu le mérite à la fois de contrevenir aux préjugés partagés sur les qualités respectives d’un ouvrage littéraire et de son adaptation cinématographique, et de très bien faire passer au grand écran les défauts du texte (la fin du film étant légèrement différente et bien plus percutante que dans le roman).
Tout cela pour expliquer mon retour à un roman précédent (2002) de l’auteur afghan. Dans
Les mille maisons du rêve et de la terreur, on peut se retrouver dans le même univers narratif que dans le roman évoqué ci-dessus, mais la parole est donnée cette fois à l’homme qui gît dans l’inconscience, assisté par une femme avec ici un petit garçon. Comme dans l’autre roman, le sens se déploie très lentement, dans une narration toute en hypothèses et en ellipses, et la trame se clarifie à partir de la moitié du livre ; comme dans l’autre, le style est poétique et les métaphores ont une couleur du lointain – tels les rouge et noir du tapis et la bougie qui se consume et l’alternance entre l’Ici-bas et de l’Au-delà – mais une valeur universelle ; comme dans l’autre encore, c’est cette première moitié qui est la plus séduisante ; mais contrairement à l’autre, la clarification de l’histoire ne porte aucun préjudice au rythme du récit et la chute, très évocatrice, retrouve le même ton (voire presque les mêmes mots) que l’incipit. Dans cet ouvrage aussi, la dimension de la violence politique – il s’agit là de la guerre civile liée à l’instauration de gouvernements philo-soviétiques autour de 1978 – et celle de la domination infligée aux femmes constituent un arrière-plan certes essentiel mais inscrit dans un ensemble symbolique dans lequel la condition humaine la plus fondamentale est prééminente.
S’il y a donc une parenté proche entre ces deux romans sans qu’il y ait répétition, car la perspective des personnages est inversée, je retrouve, encore amplifiés, tous les mérites et tout mon éblouissement éprouvés (et ré-éprouvés) avec
Syngué Sabour, sans aucune gêne ni fausse note. Je suis émerveillé.
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