Ka-boum ! L’énergie née d’un séisme sous-marin se répercute depuis les profondeurs jusqu’en surface avec une hauteur, une densité et une force inouïes. Les déferlantes engendrées dans les abîmes sous-marins sont des monstres que les surfeurs guettent de tout temps et parfois dès l’aube. De tels monuments liquides constituent le point d’ancrage d’une vie, une obsession existentielle à chevaucher, un tremplin pour la célébrité. La vague ne se déplace pas, seule l’énergie circule, bombant et creusant la mer à mesure que la vibration se propage. De tels monstres sont annoncés depuis les Aléoutiennes et les cinq potes de la patrouille de l’aube envisagent de tout laisser en plan pour se consacrer à la houle gigantesque qui arrive. Boone Daniels est une légende vivante au royaume du surf mais il est aussi détective privé pour subvenir à ses besoins car il n’est pas question pour lui de marchander sa raison de vivre. Pourtant, une affaire vient de lui être confiée. Il lui faut retrouver une strip-teaseuse qui doit témoigner contre un caïd local. Il s’agit d’une arnaque à l’assurance somme toute banale mais l’effeuilleuse est poussée dans le vide et s’écrase au bord de la piscine du motel. Rendu sur place, Boone est averti que la victime a usurpé l’identité du témoin. Tammy Roddick a été remplacée au pied levé par sa meilleure copine, Angela Hart qui a trinqué bien bas pour son amitié. Tout pourrait être cool, classique et ennuyeux. Les potes qui s’entraident en cas de coups durs, la pureté de Boone, son charisme, son intelligence, sa maestria, San Diego, la Californie du Sud, les corps musclés, bronzés mais tout cela va gentiment voler en éclat et révéler un aspect sordide du paradis californien soit la pédophilie et la prostitution de mineures.
Le roman de Don Winslow n’est pas exempt de reproches comme à travers l’accumulation de digressions historico-locales, de références au milieu du surf un peu étouffantes, au parler samoan et hawaïen légèrement ronflant qui finissent parfois par noyer un peu le squale en eaux troubles. En revanche, le style est fluide et les rapports entre les personnages s’en trouvent allégés, évidents, coulant de source. Boone est le pivot central auquel le lecteur s’attache très vite. Sa générosité est sans feinte et son intelligence est royale, au service de sa liberté. Boone accorde une vraie place aux autres ; il sait faire des concessions, risquer sa vie. Il est altruiste, prend de rudes coups mais en donne aussi. L’action s’accélère à la deuxième moitié du roman concomitamment à la venue de la vague géante. Moins marqué que « Tijuana Straits » ou « Surf City » de Kem Nunn, le roman montre bien à sa manière l’envers du décor californien et la fin d’un rêve d’or fait de générosité et de partage : « la vie sur la Highway 101 », la « Highway to Heaven… l’autoroute du paradis ». « […] ces années 1950… Phil Edwards, alias le « Guayle Kid », chevauchait des vagues que nul n’avait encore prises… Edwards avait quinze ans… quand il avait pris en pagayant la vague qu’on surnommait Killer Dana… Puis il était resté tout l’été sur la plage avec sa petite amie, à cuire des patates sur le feu. Vivre pour surfer, surfer pour vivre. Le long de la 101. » De tout cela, aujourd’hui, il ne reste nulle trace !
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