Trilogie d’heroic fantasy de bonne facture réunie en un seul volume, Elias le Maudit traîne tout de même dans ses fontes toute la quincaillerie du genre, le beau guerrier viril solitaire (Elias le roi déchu errant en quête de son identité), la belle Evangele (porte-parole de la vérité scientifique, amoureuse éconduite d’Elias), le sorcier retors (le vil mage Melchior, pourfendeur de l’armée d’Elias et voleur de son visage), les monstres sympathiques (Bertil, le nain zwerg espiègle et Araneo le dernier des géants, débonnaire, économe quant à l’usage de sa force colossale), les hybrides inquiétants (les Woloofs, loups-garous des bas-fonds), le fléau (la peste rousse), le tout barbotant dans un monde déliquescent et violent. Bien plus que de fantaisie héroïque, il faudrait plutôt parler de sword and sorcery, soit le genre épée et sorcellerie car Elias est loin d’être vertueux et s’il lutte contre le mal et la mort, c’est dans le but avoué de retrouver son vrai visage et non pas celui du sorcier Melchior qu’il porte comme une infamie. Le prologue montre un roi amoral, cruel et pillard, un conquérant sans limite, courageux mais borné, sanguinaire mais enclin à la mansuétude, un chef de guerre à la coiffure punk et au muscle hypertrophié, brute épaisse pétrie de contradictions. Loin de Lord Greystoke, alias Tarzan, le chevalier crispé (selon Francis Lacassin) d’Edgar Rice Burroughs, premier du genre (1912) évoluant notamment dans le monde sauvage de Pellucidar, Elias est plus proche du Cimmérien de Robert E. Howard, Conan le barbare et de son univers gangrené par la magie noire.
Dans ce genre codifié et sur une trame convenue, la scénariste Sylviane Corgiat a imaginé des variantes avec des amours impossibles, contre nature, le nain zwerg et la princesse Woloof, Evangele avec Elias ; des personnages faillibles, Elias est destitué, enchaîné, malmené, Evangele est victime de la peste, Aranéo succombe. Les acteurs secondaires sont fouillés, crédibles et ne servent pas de faire-valoir au héros. L’histoire est fluide, rythmée, étoffée. Les aventures se succèdent sur le fil conducteur de la quête identitaire d’Elias à la recherche de son visage dérobé. La chevauchée s’enrichit à mesure que le but approche pour mieux se soustraire en fin de course. Les magiciens sont en passe d’être supplantés par les scientifiques et les créatures monstrueuses par les hommes. A cette lecture au tempo soutenu, il faut y ajouter l’énorme plaisir ressenti face au dessin dynamique et magistral du grand Corrado Mastantuono, merveilleux graphiste transalpin. Ses Tex Willer en noir & blanc sont des enchantements visuels mais l’heroic fantasy lui va bien et le lecteur chanceux augmente encore son contentement en découvrant une œuvre en couleur de grande tenue. L’édition des Humanoïdes associés est d’excellente qualité mais un format plus grand aurait été mieux adapté afin de mettre en lumière la délicatesse, la nervosité et la précision du trait du maître italien.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]