Ce roman de Paul Théroux (peut-être plus connu comme "travel writer" que comme romancier), se décompose en trois parties indépendantes qui pourraient nous faire penser à trois longues nouvelles si ,dans chaque partie, une allusion fugitive aux personnages déjà rencontrès ne nous confirmait l'unité du propos.
Le thème central de ce livre semble bien être l'incommunicabilité , l'incompréhension,la méconnaissance, nées du "choc des civilisations" indiennes "et (globalement) occidentales.
Dans le premier chapitre un couple de riches américains sont confrontés au monde indien réel de façon tellement radicale qu'ils le payent de leur vie. Dans le spa de luxe où ils passent de longues journées oisives entourés de personnel obséquieux ils ne tarissent pas d'éloges sur l'Inde, sa culture,son peuple...tout en évitant la ville proliférante et affamée qui grouille au pied du spa de luxe. La confrontation des deux mondes sur fond de sexualité trouble va précipiter leur retour dans le "vrai" monde.
C'est aussi par le sexe que le héros du second chapitre pense appréhender l'Inde. Avocat d'affaire , ses séjours en Inde ne sont ,au début, qu'utilitaires ; il finalise, avec des experts indiens, des fusions-acquisitions d'entreprises indiennes, mondialisation oblige...Sa découverte des bas-fonds de Mumbai (Bombay) où des jeunes filles s'offrent pour quelques roupies lui fera croire qu'il vient de découvrir "l'âme indienne". Ses préjugés d'occidental cartésien se heurtent là aussi au monde réel ; il pense appréhender l'Inde et ses équivoques alors que c'est lui que l'Inde possèdera.
Mais c'est la troisième histoire que j'ai préférée. Une jeune américaine, étudiante en congé sabatique, se pique de religiosité hindoue. Elle séjourne à l'ashram de Sathya Sai Baba près de Bangalore. Un peu naïve elle s'imagine qu'elle se fond peu à peu dans la civilisation hindoue. Elle trouve un petit job dans la "Silicone valley" indienne, elle a quelques amies indiennes à l'ashram, et sympathise avec un cornac qui possède un magnifique éléphant qu'elle assimile aussitôt au dieu Ganesh. C'est le rayon de soleil de la journée que d'aller rendre visite à l'éléphant lorsqu'elle rentre de son travail.
Là-aussi le sexe va être le "véhicule" qui va déchirer les apparences. Elle rencontre dans le train un jeune indien. Tous les fantasmes liés aux femmes libérées occidentales sont condensés dans la blondeur de la jeune américaine. Il la harcèle, elle résiste. L'indien la viole. Et la suite de l'histoire est peut-être la plus intéressante du livre. La jeune américaine porte plainte. Théroux d'une manière objective et cruelle nous montre alors les fossés, historiques ,religieux, culturels, qui séparent les deux cultures. L'Américaine veut réparation immédiate parce-que "elle a été salie". Elle est la fille d'une nation procédurière et sûre de son bon droit à donner des leçons au monde entier. Amitabh, le jeune indien, est radicalement dans un autre cercle de l'enfer. La police indienne comme la justice essaient de montrer à la jeune américaine qu'en réalité c'est la vie de Amitabh qui a été bousillée ; cette accusation de viol ne lui permettra plus de trouver une épouse. Toute la famille se mobilise pour inciter l'américaine à retirer sa plainte.
Alice (c'est le nom de la jeune américaine...) est persuadée de son bon droit. Et comment ne pas la comprendre. Depuis des décennies nous, occidentaux éclairés, se battont pour l'égalité-hommes femmes. Pour éradiquer le machisme imbécile.
Mais ça c'est bon dans les limites géographiques de l'occident. La culture indienne fonctionne autrement. Là-bas (aucun jugement de valeur "à la Guéant"...), et malgrè l'irruption de la modernité à tout crin, les structures qui tiennent la socièté, semblent avoir peu changé. Le sexe féminin semble irrémédiablement condamné à l'Impureté.
Paul Théroux , fantastique écrivain-voyageur que j'idolâtre peut-être un peu trop..., a réussi avec ce "roman" une gageure. Loin de la doxa très en vogue actuellement (Toutes les civilisations ne se valent pas....) il fait le constat terrible et réconfortant (pour la diversité du Monde), qu'il n'y a aucune échelle de valeur mesurant les civilisations. Il n'y a pas de normes dictées par des agences de notations dont Dieu serait PDG pour dégrader telle ou telle civilisation. Il ya simplement le foisonnement de la Vie et de la Mort, notion par ailleurs tellement indienne ! Les civilisations se côtoient, se combattent, se réconcilient. Elles sont souvent incompréhensibles les unes aux autres mais aucune n'est "supérieure " à l'autre.
Ce roman m'a fait
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]