Une Amérique morose et dépressive, une Amérique qui a remisé ses rêves consuméristes dans le grand chaos de la mondialisation heureuse. Sept ans après le 11 septembre Miles Heller prend en photo ces pieces encombrées d'objets détruits dans la fureur de l'expulsion ordonnée par les banques. Miles Heller est chargé précisément de "nettoyer" ces pièces . Nous sommes en plein dans la crise dite des "subprimes"
Ainsi commence ce roman et déjà nous savons que Paul Auster a envie de remettre à zéro les compteurs du rêve américain.Je n'ai lu que cinq romans de cet auteur mais je sais bien "qu'à la finale" quelque soient les complications, les contrariétés, les difficultés,endurées par les héros, une sorte d'appaisement confiant (dans les hommes et dans l'Amérique...), viendra terminer le livre (Brooklyn follies). Ici rien de tel ; la fin sera à l'image de la nouvelle doxa néo-libérale : "American struggle of life".
Sunset Park n'est pas un roman sur la "crise". Elle n'en est que la toile de fond. Mais elle explique beaucoup de choses....
Paul Auster n'est pas journaliste, c'est un romancier ; il se devait de nous raconter une histoire.
Si Miles Heller nettoie les maisons abandonnées dans le sud des USA il y a une bonne raison. Depuis sept ans et la mort de son demi-frère ,Miles va de petits boulots en petits boulots, de comtés en comtés,d'états en états, comme pour expier ce geste irréversible qui projeta son demi-frère sous les roues de la voiture qui le tua. Geste impulsif non intentionnel conséquence d'une dispute d'adolescents. Mais Miles se "sent" et se "sait" coupable. Il expie doublement, comme si renier ses brillantes études ne lui suffisait pas, il a coupé les ponts avec ses géniteurs qui n'ont plus de nouvelles de lui depuis sept ans.
Par une succession d'évènements propre au roman "Austérien" Miles Heller va se retrouver à vivre en squatt dans le quartier de Sunset Park, Brooklyn. Avec quatre amis(es) de rencontre (sauf le dénommé Bing Nathan que Miles a connu au lycée). Auster va alors nous dérouler le film de ces existences mélées. Il y a là Alice qui poursuit des études, qui se consacre à sa thèse sur le retour des soldats de la seconde guerre mondiale à travers le film de William Wyler : "Les plus belles années de notre vie". Le choix de ce film n'est bien sûr absolument pas innocent pour Auster, ce film célébrant le "ressort" de la génération sacrifiée au retour au pays . "Ressort" bien détendu en ce début du 21e siècle...
Il y a là Eleen, mon personnage préféré, déchirante, émouvante...Elle aussi a "fait" des études, elle vivote comme employée dans une agence immobilière, un requin parmi d'autres...,mais le dessin est sa passion, et elle aussi ,expie ....Une vieille histoire d'avortement, de relation sexuelle sous l'emprise de l'alcool...Il y a là Bing Nathan, le bon Samaritain qui a toujours été en relation avec Miles pendant ses sept ans d'errances et qui renseigne incognito ses parents. Bing c'est le mutant du groupe, il a compris que 1984 est déjà là ; il a fait son crédo du livre de Schumacher "Small is beautiful". Et puis il y a Miles Heller qui s'est tant rapproché de ses parents qu'il ne peut plus tergiverser sur le moment des retrouvailles. Car Miles Heller semble guéri. Il est passionnément amoureux d'une jeune hispanique de Floride, Pilar, qui doit venir bientôt le rejoindre à Sunset Park. Des approches sont faites par Bing Nathan.Le père de Miles est un éditeur indépendant qui se bat pour maintenir son entreprise à flot, sa mère est une actrice de théatre célèbre et adulée. Mais rien n'est simple dans l'Amérique d'aujourd'hui. Les géniteurs aussi payent . La réconciliation sera difficile et incomplète. De malentendus en malentendus le lecteur pourrait enfin croire que la fin sera à l'image du film de Wyler; il n'en est rien. Un déterminisme sournois , si peu américain,pèse sur le destin de nos héros. Une épée de Damoclès est suspendue au dessus de leur tête : là où ils habitent c'est un squatt ! occupé illégalement. L'Autorité ne tarde pas à se manifester avec ses "cops" chiens de garde qui ne font pas dans la dentelle. Il faut dire alors adieu au pardon et aux rêves de vie meilleure et envisager un "no future" sans salut ni rédemption. C'est l'Amérique du 21e siècle.
Un des plus beaux livres lu cette année.
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