[Histoires vraies des violences à l'école | Francis Lec, Claude Lelièvre]
Francis Lec, bâtonnier au barreau d'Amiens, est aussi avocat-conseil de la Fédération des Autonomes de solidarité laïque de l'enseignement public (65% des personnels adhèrent aux Autonomes qui leur apportent une protection juridique en cas de besoin).
Claude Lelièvre est professeur émérite d'histoire de l'éducation à la Sorbonne.
Les auteurs s'élèvent contre ce qui leur paraît l'idée la plus commune aujourd'hui : « … la violence à l'école serait concentrée dans certains établissements scolaires (pour l'essentiel dans les lycées d'enseignement professionnel ou les collèges de banlieue) et serait un phénomène récent... »
A partir de citations d'hommes de lettres connus et de documents d'archives, les auteurs s'attachent à montrer que les violences, parfois graves, entre élèves ou d'élèves vis-à-vis des adultes qui les encadrent (rebellions individuelles ou révoltes collectives) existaient de longue date dans les collèges alors même que ceux-ci ne recevaient que 2% d'une classe d'âge, fils de la noblesse ou de la bonne bourgeoisie. Les révoltes collectives pouvaient nécessiter l'intervention d'agents de police (soixante au lycée Louis le Grand en mars 1883), ou de militaires.
Ils évoquent ensuite les travaux du sociologue Jacques Testanière qui, en 1967 « … met en évidence la montée, dans les établissements secondaires où la proportion d'élèves d'origine populaire est devenue relativement importante (pour l'époque), d'un type de désordre inédit qu'il appelle le chahut anomique... mais cela se passe bien avant le choc - au collège - de la prolongation de la scolarité obligatoire, bien avant celui - au lycée - des effets du mot d'ordre 80% d'une classe d'âge au niveau bac, bien avant Mai 68... » Un extrait du livre d'Hamon et Rotman « Tant qu'il y aura des profs » donne une bonne description de ce que peut être le chahut anomique dans sa forme bénigne :
« … Onze heures, c'est la reprise. Violente bousculade à l'entrée. Un garçon, devant moi, imite le cri de la chouette dans le creux de ses mains. On corrige l'interrogation écrite. A ma gauche, un carré de filles réfractaires discutent et rient, tournant carrément le dos au tableau... Hurlements à gauche. Arlette Iris sépare deux filles qui bavardent ostensiblement. Résultat nul : le bavardage reprend un ton plus haut, par-dessus deux tables. Un gamin se lève pour faucher les photos d'identité d'une fille... »
Ils notent : « … Cela peut paraître étonnant, mais les ministres successifs de l'Education nationale ne se manifesteront pas sur la question des violences à l'école avant les années 1990… de 1992 à 2006, pas moins de huit plans ou dispositifs ministériels de lutte contre les violences scolaires ont été annoncés... Quand on sait quel peut être le temps des évolutions réelles dans le système scolaire, cela laisse... très sceptique quand à la possibilité de mise en place effective de ces derniers (d'autant que leur continuité est loin d'être évidente)... »
Les auteurs discutent ensuite diverses statistiques ou enquêtes et indiquent : « … même dans les cas où il est établi que les mauvais élèves sont statistiquement plus violents que les autres, ils n'ont pas pour autant le monopole de telles violences : des pourcentages significatifs de bons élèves y prennent aussi leur part, et celle-ci est parfois loin d'être négligeable... »
Ils estiment qu' « ...il est... facile... d'annoncer l'aggravation des peines maximales pour les uns ou pour les autres : cela coûte peu et n'engage pas à grand-chose, et cela ne concerne de toute façon que quelques cas marginaux. Il est autrement plus ambitieux de chercher, avec modestie et rigueur, à mettre en œuvre une politique effective de sécurisation pour tous. Celle-ci, qui requiert du temps, de l'information et de la formation, de l'écoute, a nécessairement un coût plus élevé... »
Ils concluent enfin : « … croire que la « violence scolaire » pourrait être éradiquée... est une illusion finalement funeste, car elle invite à penser que cela pourrait ne pas avoir lieu parce que cela ne devrait pas avoir lieu. Or cette forme particulière de dénégation de la réalité profonde et tenace du problème n'est pas seulement une erreur, c'est une faute : elle empêche de situer la violence scolaire comme une réalité en quelque sorte « indépassable » (à contenir et à maîtriser au mieux), de l'aborder comme un problème central et collectif (en « professionnels » informés et formés, opérants et pragmatiques)... »
Pour ne pas être trop long, je n'ai pas évoqué le contenu des chapitres sur les victimes, la protection de l'Etat, la judiciarisation et la juridicisation de l'école, ni un certain nombre de suggestions très concrètes concernant des évolutions juridiques possibles.
C'est un livre riche (290 pages environ), bien documenté, pas du tout dogmatique, qui m'a aidé à avancer dans ma réflexion sur ce thème.
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