[90 jeux d'écriture. Faire écrire un groupe | Pierre Frenkiel, Michel Lobrot (Préfacier)]
Pierre (qui est un ami), est animateur d'ateliers d'écriture depuis 1975, cofondateur de CICLOP, et sans doute le plus talentueux des animateurs que j'aie rencontré jusqu'à présent. Ce manuel se veut un livre pratique, un recueil de jeux. Pourtant, contrairement à un certains nombre d'ouvrages analogues qui restent dans l'ombre de la banalité, car ils se contentent de généralités banales et de tuyaux vite trouvés par quiconque en ait besoin, ici l'on ressent la substance et le poids d'une réflexion longuement mûrie ainsi que d'un fondement conceptuel loin d'être évident. Les 90 jeux seraient même presque secondaires s'ils n'étaient pas choisis, jaugés et commentés à l'aune de ce fondement conceptuel, que voici :
"Pour nous, les troubles (dysorthographies diverses), les blocages de l'écriture, sont toujours corrélés à des difficultés relationnelles." (p. 41)
Affirmation catégorique s'il en est. Voire difficilement acceptable de prime abord. "Et où mets-tu l'ignorance, Pierre, surtout celle de l'orthographe, justement ?" ai-je eu envie de lui rétorquer. Comment réduire toute la complexité des rapports difficiles à l'écriture caractérisant tant de personnes uniquement au relationnel ? Ce n'est que progressivement, en avançant dans la lecture de ce qui ne semblait être qu'une description minutieuse de jeux, que mon esprit a progressivement compris et accepté l'idée que l'enjeu consiste dans la nécessité de déjouer les multiples stratégies inconscientes de dévalorisation de soi dont sont victimes les écrivants bloqués. Dévalorisations qui souvent remontent à la scolarité, trop idolâtre du texte littéraire encore souvent présenté comme un modèle auquel aspirer, trop castratrice de toute autre forme d'écrit que littéraire ainsi que parfois négatrice de l'écriture en tant qu'acte (sans parler nécessairement de pratique amateurielle) ; mais aussi dévalorisation personnelle tout court qui donc effectivement a tout à voir avec le relationnel et l'inconscient.
Entre les lignes - et la technicité des feuilles tournantes, scriptoclips, cadavres exquis etc. etc. - l'on découvre aussi le véritable rôle de l'animateur:
"[...] réhabiliter la jouissance d'écrire, rendre la parole à ceux qui en ont été dépossédés ou qui s'en sont volontairement privés, exclus (pour préserver leur emploi par exemple, ou par croyance de ne pas y avoir droit...) pour des raisons culturelles, sociologiques, et presque toujours relationnelles [...]". (p. 80).
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