Redmond est pressenti pour un voyage à bord d’un chalutier, le Norlantean, afin d’aller explorer un endroit sauvage jouxtant la Grande-Bretagne : « la haute mer, la plateforme continentale, la plaine abyssale, l’océan atlantique au nord-est de la Grande-Bretagne ». Redmond aimerait bien aller au large du Groenland mais des images de terreur l’habitent depuis son enfance. Il compte bien sur sa femme et ses enfants pour le dissuader d’aller s’embarquer mais c’est peine perdue et peine assurée. Redmond O’Hanlon prend sa Renault Clio et se rend aux docks d’Aberdeen, « 800 kilomètres plus au nord » de chez lui.
De quiproquos en contre-emploi, l’auteur n’a pas son pareil pour décrire de l’intérieur la vie extrêmement rude des marins sur un chalutier sans rien s’épargner au passage. Il a peur, froid, souffre du mal de mer mais tient bon, bien perpendiculaire au roulis. Il n’hésite pas à plonger les mains dans le cambouis, ici les viscères des poissons ramenés des grands fonds, flétans du Groenland et sébastes dont le mode de vie reste obscur et inconnu. Il marne, Redmond, prend des coups au passage quand des vagues de 18 mètres le projettent aux quatre coins de pièces minuscules mais il attire irrésistiblement la sympathie des vieux loups de mer et celle du lecteur qui perçoit un peu mieux l’âpreté de la vie à bord, la fatigue, l’isolement, le confinement et la nécessité absolue de lutter contre la peur irrationnelle en conjurant le mauvais sort. Le marin développe des qualités physiques étonnantes (par exemple des cuisses hypertrophiées afin de s’ancrer sur un sol perpétuellement amovible) et une habileté à toute épreuve quand le chalutier est ballotté, bringuebalé, secoué à rendre l’âme. L’humour anglais fait merveille et les leçons de choses prodiguées par Luke, le scientifique du laboratoire marin d’Aberdeen qui cornaque Redmond, sont toutes passionnantes à suivre. Elles ne lestent jamais le récit ; elles le suspendent un court instant, entre un coup de boutoir et un renvoi de bile. Du grand art, toujours réjouissant ! Un exemple : « Dans une tempête de force 9 ou 10 et plus, toutes les cent mille vagues… tu es, statistiquement parlant, certain d’avoir une bosse. Une vague géante. Qui est en fait juste deux vagues ou plus qui n’en forment qu’une seule. Pour une raison ou pour une autre, dans le chaos, une grosse vague a capturé les vagues devant elle. Et je déteste ça, parce que, quand elle arrive sur toi, tu ne la vois pas venir. Il faut que tu comprennes, Redmond, dans des vents de force 10, avec des rafales qui vont jusqu’à soixante et un nœuds ou plus, tu n’as pas d’horizon. Tu es enfermé par des vagues de force 10 normales, dans leur brouillard blanc, les embruns provenant de leur crête… Alors tu te concentres autant que tu peux, et tu essaies de rester debout sur tes jambes, mais d’une façon ou d’une autre, tu le sens venir, je ne peux pas te dire comment. Et soudain, il y a ce monstre, et je le déteste, ces cinq ou dix secondes quand tu le vois là-haut au-dessus de toi, la terreur… « Mon Dieu ! - Oui. Bon. Est-ce qu’on peut faire le silence maintenant ? Dormir un peu ? Parce que c’est notre dernière chance… avant les terrains de pêche… »
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