L’Ïle Grande, sise dans les Côtes-d’Armor, en Bretagne, inspire Denise Le Dantec puisqu’elle y revient régulièrement au cours de ses pérégrinations et dans ses écrits. Proche de Trébeurden où gîte le couple enchanteur des White qui couvent amoureusement le concept et l’institut international de géopoétique (I.I.G.), l’île est reliée depuis un bouquet de décennies à la terre ferme par un pont. Un sentier littoral de huit kilomètres enlace l’île. La population d’origine ouvrière a exploité durablement le granit gris des environs. Denise Le Dantec entame son journal de belle manière avec des extraits affûtés du poète breton Guillevic. Elle introduit intelligemment sa façon de travailler l’émotion, la réflexion par le biais de l’écriture, ces « exercices d’admiration » : « Ces pages sont rétrospectives. Il ne m’est pas possible de vivre le temps et de l’écrire. » Quelques textes brefs précisent ensuite la topographie de l’île et son histoire locale. Le journal proprement dit débute et de très courts paragraphes s’enchaînent. L’auteur à l’œil du peintre : « Le ciel déverse d’étranges lumières. Les oiseaux crachent du blanc./La mer noircit. » L’influence de Kenneth White est notable dans des expressions fortement estampillées comme celle de « terre de diamant » [Le Rocher du diamant : lettres de la Martinique / Kenneth White. – Actes Sud, 2002]. Quelques maladresses relevant du charabia plombent parfois le cheminement du lecteur : « […] l’Île n’était plus que ruissellement coulant sur la pente de sa pause. » Ouiche ! Késako ? Ne pinaillons toutefois pas car cet écart de conduite dans la langue n’a été repéré qu’une seule fois et c’est toujours un bonheur de rencontrer de tel livre écrit sur des lieux aussi incernables. Le Journal de l’estran réunit plusieurs textes stratifiés les uns aux autres : Retour à l’Île Grande, Promenade première [plus attachée à raconter les déambulations contemplatives sur Île à Canton, îlot accessible à marée basse depuis l’Île Grande], Partition pour une île, L’estran autour d’Île Grande, Park ar Baron, et enfin L’Île d’Aval. La lecture du journal de Denise Le Dantec pourrait amener un engourdissement soporifique car il ne s’y passe rien et c’est bien dans cet intervalle vacant que le lecteur trouve plaisir à prendre le temps de muser en pensée sur l’estran, réactivant ses propres souvenirs. Quand l’auteur amasse et identifie les coquillages, sa hauteur de vue à fleur de sable botte et touche : « Les coquilles ont une histoire : la spirale logarithmique des gastéropodes… n’est plus dans sa perfection mathématique. C’est une spirale tourmentée qui s’est heurtée aux violences du monde ». La précision et la richesse du vocabulaire, la scansion de la phrase restituent au mieux le balancement de la pensée rythmé par le mouvement des flots, le passage des saisons et les cortèges de lumière. Les gens de peu trimant dans un pays pauvre retrouvent par la valeur du regard et l’écriture coulée de l’auteur une noblesse accordée à la rugosité du paysage. A la fin, la phrase introductive du livre prend tout son sens : « Entre le flux et le reflux, chacun peut mettre son nom. » Le sentiment de son insignifiance native et de son appartenance au vaste monde, dans ses combinaisons géniales, rend modeste. Ecrire, oui, mais sur le sable de l’estran, cette « terre, sortie des flots, … d’une extrême luminosité » ; « rocs, lancées de dune, galets, granulats, luisants d’algues et d’écume » et que le flot efface.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]