Revenir à Philippe Djian après toutes ces années sombrées, est-ce bien raisonnable ? L’auteur ne sait toujours pas trouver de bons titres à ses romans mais est-ce suffisant pour bouder l’écrivain ? Enfin, dire que les titres ne sont pas bons relèvent de l’euphémisme. Ils sont tout simplement ridicules. Voyons voir : «
Lent dehors » (1991) ; «
Sainte Bob » (1998) ; «
Vers chez les Blancs » (2000) ; «
Ça, c’est un baiser » (2002) ; «
Mise en bouche » (2008), etc. Il y a de quoi mettre ses génitoires dans les poches et prendre les jambes à son cou. Est-ce que l’emploi du subjonctif à bon escient pose son écrivain ? Bon ! Le dernier opus du maître est encensé par la critique alors, allons voir mignonne si le rose nous monte aux joues. La première phrase donne le la et le tempo. L’auteur tisse son histoire et peaufine son style à partir de l’incipit. C’est lui qui le dit dans ses interviews. Ça démarre ainsi :
« S’il y avait une chose dont il était encore capable, à cinquante-trois ans, par un grand soir d’hiver que blanchissait la lune et après avoir bu trois bouteilles d’un vin chilien particulièrement fort, c’était d’emprunter la route qui longeait la corniche le pied au plancher. » On peut gloser sur cette entrée en matière banale et bancale. L’auteur remet sa vieille thématique en selle : l’alcool, la vitesse, le goût du danger, etc. On n’est déjà plus dans la réalité. Moi, perso, deux verres de pinard suffisent à me plomber la comprenette et les réflexes, alors, trois bouteilles de vin chilien, hombre, ça séisme sec ! Et puis, conduire recuit en pleine nuit à donf la caisse avec le précipice en appendice, je dis stop mais bon, continuons la partie en attendant les beaux jours comme aurait dit le fond de mon Godot. Il y a Marc, enseignant l’art d’écrire à des étudiants sans grâce, sans style mais jeunes et bandants. Il y a Richard Oslo, directeur du département de littérature qui en pince pour Marianne, sœur de Marc, honni de ce dernier pour son look de loser et ses goûts littéraires infects. Il y a Barbara, étudiante et coup d’un soir que Marc retrouve dans son lit au matin
« froide comme un jambon » qui vire rapidement
« au gris-bleu ». Il faut se débarrasser du corps. Une
« sombre crevasse moussue » des environs fera l’affaire. L’histoire peine à décoller ; le lecteur couine dans les virages et fait ce qu’il pneu pour tenir la déroute. Pardon pour le point-virgule (qui casse le rythme du palpitant selon Djian) et le calembourré (mais la métaphore voiturière est à juste titre filée) ! Myriam, la belle doche de Barbara, déboule, quarante-sept ans au compteur et Marc a le cœur qui s’emballe :
« Le souvenir de Myriam le chevauchant dans la Fiat… revenait le submerger à intervalles réguliers. » ; « […] le rapport qu’ils avaient eu sur le siège arrière de son étroit véhicule, bien qu’acrobatique et rude, l’avait littéralement subjugué… -son éjaculation avait été particulièrement longue, particulièrement éloquente, et même tout à fait inhabituelle-. » ; « Au diable, désormais, les étudiantes. Au diable la fadeur. Au diable la chair fraîche mais lointaine et sans saveur… La cible s’était déplacée vers le haut, vers les cimes. Et aucun retour en arrière n’était possible. » Marc a décidé qu’il ne valait rien en tant qu’écrivain. Ses renoncements apportent de l’humilité mais n’entament pas sa lucidité. Se débarrasser du corps de Barbara afin d’éviter les embrouilles, dissimuler ses rapports clandestins avec les étudiantes, se soumettre à l’autorité de Richard Oslo, Marc cherche la stabilité mais son enfance douloureuse et ses rapports amoureux avec sa sœur en font un être assombri, avec des lignes de faille profondes. Le roman amorce la pompe à la page 124, à un peu plus de la moitié du livre avec la petite sauterie autour du barbecue de Richard Oslo. La mise en tension entre les personnages devient évidente et les situations limites commencent à réveiller l’intérêt du lecteur jusqu’à lors passablement assoupi. Rien de transcendant toutefois au bout des 233 pages. Les interrogations du narrateur sont aussi celles du lecteur :
« Mais à quoi cela servait-il d’écrire… tandis que le soir infiltrait sa lumière ambrée dans les bois assombris ? » Plus loin, on peut lire :
« La forêt alentour vibrait d’un profond silence… ». Question : comment le silence peut-il vibrer ? Est-ce que Philippe Djian est une imposture ou est-ce que sa posture en impose ? Le mystère reste entier et bien malin qui pourra troncher.
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