Comme c'est beau!!
Stevens est un véritable butler, le majordome à l'ancienne, le stéréotype d'une certaine société aristocratique britannique, celle de l'avant-guerre, assurée de sa suprématie et vivant dans une sorte d'autarcie. Les majordomes de ces lords appartiennent pleinement à ce monde fermé, étant eux aussi à la tête de leur monde, celui de la domesticité, qui vit dans l'ombre et l'impersonnalité.
Car qu'est-ce qu'un "grand" majordome? C'est là toute la vie de Stevens. Fils de majordome, majordome lui-même, c'est par son métier qu'il se définit et sa vie semble n'être que professionnelle. Il s'efface totalement derrière sa fonction, même dans des moments où sa vie personnelle le rattrape, comme lors de la mort de son père... Mais il ne se laisse pas envahir par le moindre sentiment, ne trahit aucune émotion et poursuit son travail "avec dignité" ; c'est là ce qui le comble de fierté.
Présenté comme cela, j'ai peur de vous donner à imaginer un Stevens imbuvable... Et pourtant ce n'est pas du tout comme ça que je l'ai perçu. Cet homme si digne, si maître de lui-même, qui part revoir Miss Kenton... pour des raisons professionnelles, évidemment...
Stevens est pour moi un personnage extrêmement touchant. Je comprends très bien son attachement à ses principes, et le fait que ces principes finissent par devenir toute sa vie, et même une sorte de bouée de sauvetage ; c'est à eux qu'il se raccroche, surtout lorsqu'il suppute que son stoïcisme est prêt à se fendiller.
Car comment faire lorsqu'on a passé sa vie à suivre un fil de conduite sans se poser de questions, en respectant aveuglément et en admirant ceux auxquels on voue sa vie? Car Lord Darlington était le plus grand des hommes, un homme bon, qui n'a fricoté avec les nazis que du fait d'un terrible malentendu, n'est-ce pas... Et Miss Kenton... Ah, miss Kenton!
Stevens s'est volontairement, délibérément oublié et effacé derrière son rôle de majordome. La vie le rattrape, ses propres émotions... c'est terriblement beau, triste et touchant. Si vous saviez comme je comprends Stevens! J'ai même une certaine admiration pour lui, d'un côté... Mais j'admets que je dois avoir un problème :D
Ishiguro a réussi un roman très subtil, où c'est à nous, lecteurs, de réfléchir, de lire entre les lignes, de subodorer les ressentis de Stevens... J'ai beaucoup aimé cette démarche. Et Stevens. Et Miss Kenton.
Un petit détail qui m'a beaucoup amusée : la grande question du badinage! La métaphysique du badinage, presque! Je trouve ça tellement révélateur... J'adore!
Pour moi, un très beau roman, très anglais, très touchant. Et l'adaptation avec Anthony Hopkins et Emma Thompson doit valoir le détour!
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