Bernard, alias Feu-de-Bois, picole et se néglige depuis des lustres. Il pue et monologue ; il est presque devenu invisible aux yeux de son entourage. Il vit aux crochets de ses frères et sœurs. La soixantaine bien tassée dans la dèche, il fait pourtant un gros effort pour se présenter convenablement à l’anniversaire de sa sœur Solange. Il lui offre une somptueuse broche et chacun s’interroge sur la provenance de cet argent : « […] un type fauché qui offre à sa sœur, au vu de tous ceux qui lui auront fait l’aumône une fois, une broche qu’aucun d’entre eux n’aura jamais les moyens d’offrir à personne. »
« Après-midi » ; « Soir » ; « Nuit » ; « Matin » tentent d’architecturer le roman en chapitres chronologiques mais, par trop imprécis et rapprochés, ils ne font qu’ancrer le récit dans l’intemporalité. Pourtant, on peut visualiser deux parties distinctes entre le présent et le passé. « Nuit » nous engloutit dans le quotidien du soldat français durant la guerre d’Algérie. Et là, le lecteur sait qu’il va trinquer car il va coller à l’âpreté de la réalité par la force du verbe. La phrase est hachée, brute, au plus près de l’émotion. La ponctuation ne suit pas à la lettre les mots si bien qu’on ne sait pas si le narrateur dialogue ou soliloque mais cela ne nuit nullement à la compréhension du texte. Bien au contraire, le lecteur est happé et médusé par la maestria de l’écrivain à diriger la polyphonie des multiples personnages sans aucune cacophonie. Il y a là un remarquable travail d’orfèvre, une plume et une voix singulières qui auraient ingéré toutes les facettes du roman pour en restituer une œuvre unique, à la fois contemporaine dans sa forme et classique quant à son contenu. Rarement un roman ne s'est terminé par une phrase aussi percutante, incisive et brûlante : "[...] je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard."
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