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[TROIS FEMMES PUISSANTES | MARIE N'DIAYE]
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gérard21



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 06 Déc 2009
Messages: 10
Localisation: ILE DE FRANCE


Posté: Ven 19 Fév 2010 15:31
MessageSujet du message: [TROIS FEMMES PUISSANTES | MARIE N'DIAYE]
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Je viens de refermer le livre de Marie N’Diaye « Trois femmes puissantes ». J'ai éprouvé une certaine jouissance à voyager dans les trois récits qui composent ce livre. La lecture est réellement une activité merveilleuse. Mais encore faut-il que le livre soit de qualité ! Ce qui est le cas ici.


Un roman de qualité doit conserver sa part de mystère lorsqu’on arrive à la dernière page. Il n’est pas possible que le lecteur s’identifie totalement à l’auteur et pénètre les moindres interstices de sa conscience.

Ce qui fait la valeur d’un livre, outre les critères objectifs dont on a déjà maintes fois parlé, c’est son aptitude à nous accueillir dans son univers, nous lecteur, enfanté par notre propre histoire, notre propre culture, notre propre faim, notre propre soif.

La littérature est un échange indéfiniment renouvelé entre des auteurs et des lecteurs. Mais chaque échange est singulier. Ce que je ressens à la lecture d’un livre, je suis le seul à pouvoir l’exprimer.

Ces sensations, ces impressions fugaces ou ténues sont générées par une friction permanente entre mon propre imaginaire nourri de mon vécu, mes pensées, mes blessures, mes fantasmes et l’univers créé par l’écrivain, interprétation imaginaire d’un monde qu’il révèle, qu’il modèle, qu’il sculpte, qu’il peint... Nous explorons chacun ce monde magique en suivant un itinéraire différent. Nous visitons les mêmes lieux, nous rencontrons les mêmes personnages, nous sommes plongés au cœur des mêmes événements, mais nous ne faisons jamais le même voyage.

Que dire qui ne soit totalement banal ?



Tout d’abord, j’ai tenté une première lecture de ce livre, hachée, laborieuse, confuse, pour des raisons qui ne tiennent qu’à moi. Mon manque de disponibilité a généré un profond désintérêt. Le livre a commencé lentement à prendre une couche de poussière sur ma table de nuit (rassurez-vous on fait quand même le ménage régulièrement !)

Et puis, comme cela a été le cas de nombreuses fois, je me suis rappelé que lire n’était pas une activité gratuite, désorganisée que l’on pratiquait avec désinvolture.

Il faut d’abord une volonté, ensuite un temps disponible, enfin une tranquillité absolue. C’est le minimum que l’on puisse faire pour apprécier à sa juste valeur des feuillets que parfois un homme ou une femme a mis des mois, voire des années à concevoir.

Alors, dès l’instant où je me suis mis en position de lecture, tout a changé.

Je n’ai plus survolé à 100 kms d’altitude le monde de Marie N’Diaye sans distinguer quoi que ce soit, j’ai essayé d’ouvrir la porte qui me conduisait tout droit à Dakar, dans la maison de Norah.

Là j’ai retrouvé un univers où a régné un homme tout puissant et égocentrique, qui a fait plier sous sa loi et son machisme absolu, tour à tour tous les membres de sa famille. Tout cela finira par un drame où l’ange adulé se sacrifiera.

Le personnage du père qui se réfugie dans le flamboyant, c’est celui d’un oiseau bicéphale, tantôt aigle, tantôt vautour, qui s’acharne à détruire tous les êtres qui tournent autour de lui. Seule Norah en réchappera vraiment, ce sera l’élément salvateur qui prendra le pouvoir.

« Il percevait près de lui un autre souffle que le sien, une autre présence dans les branches. Depuis quelques semaines, il savait qu’il n’était plus seul dans son repaire et il attendait sans hâte ni courroux que l’étranger se révéla bien qu’il sut déjà de qui il s’agissait, parce que ce ne pouvait être nul autre. Il n’en éprouvait pas d’irritation car dans l’obscure quiétude du flamboyant son cœur battait alangui et son esprit était indolent. Mais il n’en éprouvait pas d’irritation, sa fille Norah était là, près de lui, perchée parmi les branches défleuries dans l’odeur sur des petites feuilles, elle était là sombre dans sa robe vert tilleul à distance prudente de la phosphorescence de son père, et pourquoi se serait-elle abstenue de nicher dans le flamboyant si ce n’était pour établir une concorde définitive ? Son cœur était alangui, son esprit indolent. Il entendait le souffle de sa fille et n’en éprouvait aucune irritation. »



Norah est une femme puissante, la seule à s’opposer à son père et à pouvoir racheter sa conduite destructrice. Je n’en dis pas plus.

Fanta est, elle aussi, une femme puissante, mais puissante par sa présence et par son renoncement. Marie N’Diaye ne nous la fait découvrir qu’à travers le regard de son mari. Ce n’est pas le personnage principal du récit, mais c’est le seul personnage fort, qui s’oppose, qui dit non, qui est digne. Rudy parcourt un itinéraire plein d’embûches hanté par son passé familial dont il arrive à se libérer en écrasant avec sa voiture une buse maléfique, animal symbolique incarnant la malédiction de son enfance. C’est Fanta qui lui aura indiqué le chemin de la délivrance.

Quant à Khady, c’est de loin la femme que je préfère car elle est forte, elle est puissante dans sa vulnérabilité absolue. Comme toutes les victimes, elle vit dans le présent, elle ne sait pas calculer, elle est le jeu des autres, de tous ceux qui l’exploitent tour à tour. Plus elle déchoit physiquement, plus elle se sent forte. Jusqu’au moment où au bout de son périple sans espoir, elle s’envole :

« C’est moi Khaty Demba, songeait-elle encore au moment où son crâne heurta le sol et où les yeux grands ouverts, elle voyait planer lentement par-dessus le grillage un oiseau aux longues ailes grises – c’est moi, Khady Demba, songea-t-elle dans l’éblouissement de cette révélation, sachant qu’elle était cet oiseau et que l’oiseau le savait. »



Pour conclure, quelques mots sur le roman : un style remarquable avec parfois des phrases de plus d’une page, mais qui ne sont jamais là par hasard. Parfois des phrases plus courtes, plus hachées qui donnent du rythme au récit.

Des personnages écartelés entre des cultures, des enfances perturbées, des individus maléfiques. L’auteur décrit avec minutie la spirale infinie de leurs doutes, de leur culpabilité, de leur violence, de leur force intérieure.

Une structure romanesque déséquilibrée si l’on se focalise sur le nombre de pages, mais totalement cohérente si l’on se réfère à la démarche romanesque. Plus on s’enfonce dans la tragédie et plus on s’élève dans le ciel, royaume des oiseaux.



Deux remarques bienveillantes :

- je ne suis pas certain que le titre illustre fidèlement l’essence du roman,

- certains personnages subissent des transformations au fil du temps que j’estime peu crédibles, Rudy Descas en particulier.

Dernière observation : le style de Marie N’Diaye.

D’aucuns, amoureux de la langue française, le trouveront magnifique, généreux, finement ciselé, d’autres considèreront en revanche qu’il est ampoulé et qu’il nuit parfois au rythme du récit et à la clarté des situations. En ce qui me concerne, je suis plutôt admiratif.

Je ne donne qu’un seul exemple :

« Parce que leur fils unique l’avait épousée en dépit de leurs objections, parce qu’elle n’avait pas enfanté et qu’elle ne jouissait d’aucune protection, ils l’avaient tacitement, naturellement, sans haine ni arrière-pensée, écartée de la communauté humaine, et leurs yeux durs, étrécis, leurs yeux de vielles gens qui se posaient sur elle ne distinguaient pas entre cette forme nommée Khady et celles innombrables, des bêtes et des choses qui se trouvent aussi habiter le monde.

Khady savait qu’ils avaient tort mais qu’elle n’avait aucun moyen de le leur montrer, autre que d’être là dans l’évidence de sa ressemblance avec eux, et sachant que cela n’était pas suffisant elle avait cessé de se soucier de leur prouver son humanité. »

Fort et époustouflant non ?

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Auteur    Message
Astazie



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Posté: Dim 21 Fév 2010 21:39
MessageSujet du message:
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Merci, c'est une note de lecture qui me donne envie de découvrir ce livre.
Les avis de mes proches furent négatifs dans l'ensemble.
_________________
Astazie
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