Ellul démontre d'abord que la propagande n'est pas l'apanage des dictatures: même dans les régimes dits "démocratiques", tout pouvoir politique use de propagande, dans le but élémentaire de se maintenir en place. De façon plus générale encore, toute instance de pouvoir, même non politique, use de méthodes de propagande. Par exemple, sous couvert d'un humanisme déguisé, les entreprises: leurs services de publicité et de marketing visent à "créer le besoin" de consommer leurs produits,. Et leurs DRH (Directions des ressources Humaines) "communiquent" avec leurs salariés dans le seul but qu'ils s’adaptent au mieux à leur cadre de travail et se montrent ainsi plus productifs. On pense bien sûr aussi aux grands médias de presse. Leurs dirigeants se servent de l'information pour valoriser non seulement leurs propres intérêts (ce qu'on appellera plus tard l'audimat) mais aussi ceux de leurs proches (que l'on appellera plus tard les réseaux).
De manière plus radicale, Ellul démontre que la propagande ne se limite pas à une volonté de quelques uns de manipuler beaucoup d'autres. Elle est vécue par un nombre croissant d'individus comme une nécessité et correspond en fait chez eux autant à un besoin de "propagander" qu'à un besoin d'"être propagandé".
Écrit 30 à 40 ans avant l'apparition d'internet et des blogs, ce livre montre à quel point la propagande est d'autant plus subie qu'elle est secrètement recherchée en vue de façonner une certaine image de l’homme et de s'y conformer soi-même.
Car, quand bien même il ne se l’avoue pas, l’homme moderne a besoin de propagande. Il se croit et se dit informé, il est en réalité bombardé d’informations au point qu'il ne peut non seulement se faire une idée précise des événements qui lui sont relatés mais percevoir dans quelle mesure ceux-ci le concernent. Et comme la plupart de ces informations sont de l’ordre de l’accident, de la catastrophe, du fait divers quelconque, l’homme à l’impression de vivre dans un monde toujours plus dangereux, toujours plus oppressant. Il a donc besoin d’explications globales, d’une cohérence, bref, de jugements de valeur constituant une vision générale des choses : c’est ce que lui fournit la propagande.
Plus on est informé, plus on est prêt pour la propagande. Mais, on objectera que c’est au contraire par un surcroît d’informations, de transparence, d’objectivité que l’homme informé pourra forger son propre jugement. Hélas non, répond Ellul, et ce pour deux raisons : Primo, parce que les problèmes de l’époque le dépassent, et qu’il faudrait pour user correctement de ces masses d’information consacrer du temps (plusieurs heures par jour) et beaucoup de travail pour les analyser, les digérer. Sans compter les vastes connaissances préalables indispensables en économie, politique, géographie, sociologie, histoire et autres. Et, bien entendu une capacité de synthèse et une mémoire hors pair… Secundo, parce que l’information qu’on nous délivre est instantanée, surabondante, omniprésente, et le plus généralement constituée de détails. Il est bien rare que l’informateur fournisse un contexte, une perspective historique, une interprétation. C’est justement ce que fera la propagande.
Bref, un livre complet (et complexe aussi) qui cerne très bien le problème, et qui éclaire vraiment le phénomène que nous subissons chaque jour. Une référence indispensable pour la compréhension de notre monde médiatique.
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