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[pedro paramo | juan rulfo]
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gérard21



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Posté: Sam 16 Jan 2010 12:58
MessageSujet du message: [pedro paramo | juan rulfo]
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Première lecture : au bout d’une vingtaine de pages je suis déconcerté. Je pose le livre et je fais autre chose. Impossible de me mobiliser pour continuer cette lecture. J’ai l’impression que mon esprit refuse d’accepter ce que Rulfo propose à son lecteur. C’est-à-dire une gymnastique permanente entre des personnages dont certains sont vivants et d’autres sont morts, mais qui parlent entre eux. J’abandonne.

Seconde lecture : quelques jours s’écoulent et je me dis, comme pour « Le rivage des Syrtes », que je ne peux pas me satisfaire de cette situation. Ce roman est considéré comme un chef-d’œuvre par la critique contemporaine, certains écrivains hispanisants considèrent même que ce livre a changé quelque chose dans leur vie. (Enquête d’El Pais).
Certes je ne suis pas hispanisant, je connais très peu les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du sud, leur culture m’est en grande partie étrangère, donc il se peut que les conditions ne soient pas réunies pour que j’apprécie ce livre à sa juste valeur. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à la lecture intégrale de « Pedro Paramo ».

Je décide donc de reprendre le livre à la première page et de le lire d’un trait en quelques heures.
Après une trentaine de pages, je m’aperçois que c’est gagné, la magie de la lecture s’opère, peu à peu j’entre en symbiose avec l’écriture. Ce qui me paraissait totalement absurde nagère, m’apparaît aujourd’hui comme une évidence.
Il suffit simplement d’établir d’entrer en sympathie avec l’architecture et la démarche romanesque de Juan Rulfo. En fait il s’agit d’une convention tacite entre celui qui a écrit le roman et celui qui le lit.

Le livre décrit le voyage du fils en quête de son père, après la mort de sa mère. Il révèle au jkeube homme la vie et l’histoire de sa famille et des habitants d’une région du Mexique, plus précisément du domaine de Media Luna et des villages qui l’entourent.

L’orininalité de Rulfo est qu’il construit un monde où les morts et les vivants se côtoient et parlent avec le narrateur.

Rulfo nous prévient subtilement que nous pénétrons dans un univers particulier.
« J’avais l’impression de tout voir à travers les souvenirs de ma mère… Sa voix était assourdie, presque éteinte, comme si elle parlait pour elle-seule. » (p. 10)
Quelques lignes plus loin : « J’ai de nouveau entendu la voix de celui qui avançait là, à côté de moi. »
Le bourriquier qui accompagne un temps le fils pour lui montrer le chemin de Comala évoque de manière énigmatique la contrée dans laquelle a vécu son père, Pedro Paramo : « Là-bas on est sur le brasier de la terre. Dans la gueule de l’enfer. Quand je vous aurais dit que la plupart de ceux qui y meurent, une fois arrivés dans le feu éternel, en reviennent pour prendre leur cape… » (page 12)
Plus loin, la particularité de ce monde se précise : « Au débouché d’une rue, je me suis arrêté, quand j’ai vu une dame enveloppée dans son châle disparaître comme si elle n’était pas de ce monde. » (page 15)

Le fils abandonne très vite son scepticisme premier, il comprend ainsi ce que sa mère lui a dit sur son lit de mort : « La-bas, tu m’entendras mieux. Je serai plus près de toi. Tu trouveras la voix de mes souvenirs plus proche que celle de ma mort, si la mort a jamais eu une voix. »
Le fils exprime alors son doute : « J’aurais aimé lui dire (à sa mère) : « Tu t’es trompé d’adresse. Tu m’as donné une fausse indication. Tu m’as envoyé là où nul ne trouve son chemin. Dans un village abandonné. Pour chercher quelqu’un qui n’est plus. »
En fait, il suit les conseils de sa mère et il découvre peu à peu des personnages qui ont bien connu sa mère, son père et qui lui racontent l’histoire de la Media Luna, des villages et de leurs habitants. Ces personnages sont morts. Néanmoins, ils ont une vie. La vie qui est nécessaire pour qu’ils apportent au fils leur témoignage.
La magie s’opère. Il rencontre une vieille femme, une ancienne amie de sa mère qui lui raconte que cette dernière l’a avertie ce matin même que son fils allait venir. Or, il sait très bien que sa mère est morte il y a plusieurs semaines.
Il a alors cette réflexion, qui est la clé du livre : « J’ai cru que cette femme était folle, puis-je n’ai plus rien cru. Je me suis senti dans un monde lointain et me suis laissé emporter. »

C’est exactement la démarche que nous demande de faire Rulfo pour entrer dans son univers romanesque.

Soudain, les villages et les personnages s’animent. On découvre trois générations de Paramo : Lucas le grand-père, Pedro, le père et Miguel le fils, qui meurt prématurément.
Rulfo nous dépeint un monde rural féodal où dominent celui qui possède les terres et celui qui détient le pouvoir religieux, même s'il est lâche et servile. Vol des terres, droit de cuissage, meurtres des récalcitrants, tout y passe. Cela conduira à la révolution de Pancho Villa. Dans son récit qui porte sur la vie de trois générations de Paramo, Rulfo crée la dimension spatio-temporelle qui convient à sa propre imagination, et il nous l’offre en partage.
Notre champ de vision habituel change. C’est là qu’est la grande originalité de ce livre. Mais encore faut-il que le lecteur joue le jeu. Il ne doit pas être passif, mais actif, c’est-à-dire créatif. En lisant, il crée de toutes pièces ce monde imaginaire déjà construit par Rulfo pour lui-même.
Si cette vision partagée n’apparaît pas dans le cours de la lecture on est passé à côté du livre. Ce n’est pas grave, c’est le risque encouru par l’auteur.

En partant à la quête du père dans un monde inconnu de lui, le fils accomplit un voyage initiatique qui peu à peu lui permet de découvrir les clés d’un pays, d’une culture, mais aussi la façon dont les hommes vivent et ont vécu entre eux. Ce monde imaginaire qu’il découvre lui livrera l’âme du Mexique.

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