Ah ah! cela devient très intéressant, car de toute évidence on nous a enseigné des choses différentes à l'école
Donc ce que j'ai appris, moi, c'est que Socrate fut une personne historique, un philosophe en chair et os (même si a priori il n'aurait pas trop aimé qu'on lui rappelle cette corporalité !), dont Platon fut un disciple et non vice versa. Donc pas de Socrate platonicien mais un Platon socratique ! Pour ce qui est de sa vie et sa mort (profondément injuste, d'accord, mais dans le fond un peu "provoquée" par Socrate lui-même, dans une démarche un peu similaire à celle d'un certain J-Ch, en ce qui me concerne
) effectivement on m'a dit aussi que la référence, c'est Xénophon.
Et pour pousser plus loin mon analogie avec ledit J-Ch, Socrate, lui aussi, comme l'un des corollaires de sa maïeutique, avait décidé de ne pas écrire ses enseignements (car il se plaisait à ne pas les considérer comme tels). Mais il n'avait peut-être pas d'a priori sur le fait que l'un de ses disciples le fît à sa place, et de toute façon il était décédé lors de la rédaction...
Or, me dit-on, le jeune et enthousiaste disciple commence son écriture par le récit de la mise à mort de son maître avec force indignation, c'est compréhensible, puis s'attelle à reconstruire, toujours en l'honneur de la mémoire du maître regretté, certaines de ses démonstrations les plus brillantes, où Socrate continue d'être mis en scène et de subjuguer intellectuellement ses antagonistes, et le narrateur, par modestie, reste absent ou presque.
Le temps passe, ajouta-t-on, la pensée de Platon graduellement s'émancipe de celle du maître, la mémoire sans doute s'estompe aussi, c'est humain, donc le personnage Socrate devient de plus en plus 'persona', comme tu dis.
Maintenant, je n'ai pas en tête la chronologie des dialogues, mais les critiques que j'ai lus semblent prétendre être capables de déterminer assez exactement ce qui appartient au "Socrate historique" et ce qui est, de plus en plus, du ressort du "Socrate persona".
Mais là s'inscrivent mes doutes. Et ils ne sont pas en rapport avec le côté éthique que tu soulignes; car celui-ci ne me dérange pas du tout : en effet je ne vois guère l'utilisation du nom de Socrate que comme une partie du procédé littéraire du dialogue tout entier (procédé, par contre, de marque indubitablement socratique), et rien n'est fait (en tout cas après l'Apologie, qui, effectivement, comme tu le dis si bien, a une place à part dans la production philosophique de Platon) pour rendre l'attribution de la lettre des propos à Socrate vraisemblable pour le lecteur, bien au contraire. (Il s'agit pour moi plutôt d'un ultime hommage, ou d'un aveu de filiation spirituelle, comme l'on ferait aujourd'hui en se faisant préfacer par un maître connu et qui nous a éduqué.) Donc la question de confiance (méfiance ou suspicion) que tu poses, je ne la vois pas vraiment.
Mes doutes sur ce lien prétendu entre fidélité socratique et chronologie sont d'une autre nature. Dans la lettre des tirades socratiques dans les dialogues, je n'ai pas de raison de ne pas y adhérer. Mais dans la lettre des tirades des "antagonistes"? ou alors, dirons-nous, dans ce qui constitue la "pars construens" de la pensée exposée par la "confutatio"...? Car la "pars destruens", quand même un peu dans l'air du temps des cyniques et même de certains stoïciens, on peut l'attribuer sans hésiter au vieux Socrate, mais, me semble-t-il, dès les premiers dialogues (hormis l'Apologie, nous l'avons déjà vu), se profile quand même une "pars construens" proprement platonicienne, déduite par absurde des positions tenues par les antagonistes de "Socrate persona". Je pense que Platon commençait à l'avoir construite assez tôt dans ses écrits, même si de façon pas trop technique ou théorisée, mais peut-être simplement implicite.
Et là je voudrais aussi me distancier de ce que j'ai lu dans mes manuels de philo du lycée, en ceci : on dit parfois que lire Platon est plus facile que lire Aristote, car les dialogues de celui-là constituaient la partie de vulgarisation de sa pensée, alors que, de celui-ci, ne nous sont restées que des notes de cours à usage propre, forcément plus ardues car plus succinctes. Soit. Mais enfin, lorsqu'on veut retirer la substantifique moelle, surtout la "pars construens" proprement platonicienne de certains dialogues, de tout ce qui est convention littéraire établie, je crois qu'on a parfois pas mal à en suer... La preuve...