Ce qui m’a premièrement frappée, dans ce roman, c’est son écriture. Une écriture qui vous happe, si juste et évocatrice qu’elle donne l’impression que S.Joncour utilise le langage comme un musicien génial joue d’un instrument. En virtuose. Je pourrais presque arrêter ici ma critique : cette seule qualité aurait suffit à me donner envie d’aller jusqu’au bout d’ « In vivo ». Seulement, je n’ai pas atteint les 15 lignes réglementaires, et vous avez peut-être besoin d’en savoir un peu plus pour vous mettre l’eau à la bouche, non ?
D’une part, nous avons deux frères dont le plus jeune a 8 ans, qui ont surnommé leur père le « monoparental » parce qu’il élève seul ses enfants (la maman est morte), et surtout parce que « papa » n’est pas un terme vraiment adapté aux relations qu’entretiennent les garçons avec leur géniteur. Celui-ci leur témoigne une totale indifférence, ce qui leur laisse une liberté non moins totale. Les éventuelles angoisses sont calmées à coups d'anxiolytiques ou de verres de bière... Ce qui n’empêche pas les deux enfants d’aspirer à une vie « normale », calquée sur les modèles que leur proposent les spots publicitaires, qui représentent la famille idéale petit déjeunant sous l’ombre d’un arbre gigantesque, avec soleil garanti et sourires éternels, sans oublier l’indispensable succédané de café, conditionné dans sa célèbre boîte jaune… Et bien sûr, le personnage central de ce beau petit monde serait LA maman, « celle qui t’aime de toutes façons, quand bien même tu ferais le mal, le pire qui soit, quand bien même tu te montrerais impossible ou passable », qui cuisine de vrais aliments (et non des surgelés), blonde de préférence. C’est en partie pour tenter de trouver cette mère idéale que nos deux héros décident de fuguer…
Des rêves d’enfants, en somme, légitimes et naïfs, mais en même temps, l’aîné –qui est aussi le narrateur- n’est pas si dupe. Il montre même une clairvoyance aigue quant à la véritable nature des bonnes intentions, porte un regard acéré sur ce monde cruel, qui n’épargne même pas les plus jeunes. Un monde dont il tente au maximum de protéger son petit frère…
D’autre part, un homme, qui passera la majorité du récit devant sa piscine, qu’il a laissée à l’abandon, lui qui en était auparavant si fier, qui l’entretenait avec un soin si maniaque. Par bribes, nous apprenons qu’il s’agit d’un gynécologue ayant perdu son emploi, et qui n’a jamais pu avoir d’enfant avec son épouse. Echec qui le perturbe, lui qui a aidé tant de femmes à enfanter, et qui le plonge dans une sorte de dépression qui l’amène à observer avec fascination la prolifération, dans sa piscine, d’algues et autres micro-organismes. Une vie qui s’épanouit spontanément, qui s’oppose à celle, aseptisée et programmée, qu’il aidait à prendre forme dans son cabinet.
En manque de mère ou d’enfant, les protagonistes d’ « In vivo » ont comme point commun une carence affective qui les empêche de s’épanouir, de ressentir un quelconque bien-être. Il émane de ce roman une immense tristesse, à telle point qu’il m’est arrivé, au cours de ma lecture, de ressentir une certaine angoisse. Et c’est bien là tout le talent de S.Joncour, qui par la magie des mots, et sans jamais verser dans le larmoyant, parvient à provoquer chez le lecteur toute une palette d'émotions, de l'attendrissement au rire, en passant par la colère, l'amertume...
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