Pourquoi le jeune Mattéo, fils de réfugié espagnol anarchiste, n’enthousiasme pas le lecteur pourtant acquis par avance au talent de Jean-Pierre Gibrat ? L’histoire est très conventionnelle. Mattéo est Espagnol en terre française. Il n’est donc pas mobilisé pour partir au front en 1914. Il ne participe pas à la liesse générale. Il peut continuer son existence auprès de sa mère, à Collioure. Seulement son amour de Juliette s’éloigne à mesure que la guerre fait rage et fauche tous les fils de famille partis au combat la fleur au fusil. La belle Juliette en pince sans se l’avouer pour Guillaume de Brignac, fils de riches propriétaires terriens, ingénieur en mécanique ondulatoire (tout un programme en amour !), engagé en tant qu’aviateur dans les aéroplanes, une « mouche à merde » comme dirait le Breton des tranchées. Par amour-propre et amour blessé, les deux sont liés, Mattéo va s’engager dans le grand merdier des tranchées. Blessé, décoré, il bénéficie d’une permission mais Juliette est définitivement entichée de Guillaume. Tout ça pour ça ! L’amertume déborde et la rixe menace. Que va devenir Mattéo ?
Le crayonné léger de Jean-Pierre Gibrat et les couleurs aquarellées sont à l’opposé de la puissance de l’expressionnisme dont le cri est fait de formes massives aux couleurs pures et contrastées. A l’inverse, le trait épais et les couleurs boueuses de Tardi sont bien plus proches de la réalité des tranchées. Le second décalage dans Mattéo réside dans le texte même de Gibrat, trop littéraire, trop distancié. L’auteur semble être plus à l’aise pour peindre les sentiments. L’histoire d’amour de Mattéo, sur fond de lutte des classes, est la plus réussie, pleine de finesse et de sous-entendus. Il faudra attendre les trois tomes suivants pour porter un jugement plus sûr sur l'oeuvre de Jean-Pierre Gibrat, auteur rare, fin et précieux.
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]
Afficher toutes les notes de lectures pour ce livre