[Longue marche, tome 1 : Traverser l'Anatolie | Bernard Ollivier]
Deux aspects de cette lecture me l'ont rendue particulièrement agréable : la démarche du cheminement d'Ollivier, qui, à l'encontre de celle d'autres marcheurs renommés, n'est faite aucunement de "marathonisme" ni de quête de l'exploit - l'écriture ou la publication du récit n'était même pas préméditée, savons-nous - mais au contraire d'un incessant questionnement sur ses buts et de périodiques pertes de morale;
la pertinence des observations et des déductions de l'auteur au sujet de l'Anatolie qu'il traverse, sa sérénité de jugement sur la Turquie (occidentale ou orientale) faite de bienveillance sans angélisme, tout en avouant que sa maîtrise de la langue est très élémentaire et tout en regrettant le manque conséquent de conversations approfondies. Tout porte à croire que la lenteur de sa progression aiguise son analyse et pallie amplement les insuffisances communicatives qu'il déplore...
Un troisième élément d'appréciation devrait être le manque de répétitions malgré une progression du récit qui retrace minutieusement les étapes de la marche. De multiples détails qui ne laissent jamais s'affaisser l'entrain de la lecture ne sont jamais érigés en emblèmes, ni le ton ne languit lors des doutes et inquiétudes (et enfin des tourments physiques) qui assaillent le voyageur.
Je note quelques phrases qui distillent une sagesse chez le marcheur âgé qui me le rend un modèle pour des rêveries de projets d'avenir:
"Dans cet effort quotidien, cette poussée imperceptible et forte vers un objectif si lointain, ces suées bienfaisantes, je m'élève vers le ciel, je me libère des chaînes de l'enfance, de la peur, de la raison reçue. Je brise les fils dans lesquels la société m'a ligoté, je méprise fauteuils et canapés. J'agis, je pense, je rêve, je marche, donc je vis." (pp. 101-102)
"Les pèlerins se considèrent presque toujours changés après une très longue marche. C'est qu'ils y ont rencontré une part d'eux-mêmes qu'ils n'auraient sans doute jamais découverte sans ce long face-à-face." (p. 136)
(Se comparant à des cyclistes rencontrés sur la route): "Enfermés dans leur langue commune, couchés sous leur tente, ils risquent moins que moi le danger d'être volés, mais ils n'échangeant que bien peu avec les habitants. Ils découvrent le monde, moi je le confronte à ma propre expérience." (p. 254)
"Je n'avais jamais éprouvé cela auparavant: que l'amitié, l'amour, ne sont pas affaire de temps mais le résultat d'une secrète alchimie, et que l'éternité, non plus, n'est pas une affaire de durée." (p. 276)
Enfin un détail extra-textuel: après la lecture de ce premier volet de sa trilogie, je comprend très bien l'initiative d'Ollivier de créer l'association "Seuil". Et me réjouis que des hommes de cette envergure conçoivent des entreprises si louables...
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